Ludovic Carème n’est pas un inconnu, il signe des portraits dans la presse depuis plus de vingt ans. De Libération à l’Express, en passant par Elle ou Télérama, il a mis en boite pas mal de têtes célèbres. Mais c’est un tout autre portrait qu’il nous rapporte du Brésil, où il a passé plus de dix ans. Dix années à arpenter une petite favela de Sao Paulo, Agua Branca, avant de s’enfoncer dans la forêt amazonienne à la rencontre de ses habitants. Ce portrait tout en nuance de gris, cadré carré et titré Brésils, est exposé à la Friche la Belle de Mai, à Marseille, jusqu’au 29 septembre.
Les photographies du Brésil de Ludovic Carème lui ressemblent étonnamment. Douces, calmes, subtiles, pleines d’humanité et d’empathie, elles ne prétendent pas à une vérité définitive, mais traduisent plutôt le sentiment de rencontres heureuses. Des rencontres avec les habitants d’une favela croisés au petit matin sur la route du travail, sur un trottoir défoncé, l’air déjà fatigué, avec des vêtements d’un autre âge. Des portraits en pied, centrés au cœur de l’image, loin de tout artifice dans la lumière grise et dure du matin. Des images d’une profonde dignité. D’autres portraits des habitants d’Agua Branca ou de la forêt amazonienne sont, eux, pris de plus près. Le photographe s’est rapproché, son regard s’est fait plus tendre, et la lumière caressante semble distiller un sentiment de bonheur.
La distance juste
Un sentiment qu’on peut retrouver dans les images de la forêt amazonienne et des gestes de ses habitants : des détails de corps fondus dans le décor qui expriment une certaine harmonie. C’est une main qui tient la bride d’un bovin avec une étonnante sensualité, des épaules endormies sur des planches de bois, des pieds en équilibre sur une branche humide, un bras qui sort d’une feuille de palmier, un dos courbé et transpirant, des mains qui effleurent un tronc d’arbre… partout les cadrages de Ludovic Carème trouve la distance juste pour nous toucher. Même quand il retourne dans les rues de Sao Paulo pour photographier les sans-abri emmaillotés dans d’improbables tissus, plastiques ou couverture de fortune, il s’arrange pour « ne pas en faire trop », explique Christian Caujolle, qui signe le commissariat de cette exposition. Sur le mur s’alignent 60 photos de sans-abri dans lesquels on devine parfois un fragment de corps : une jambe, une main… ou comme ici où l’on devine par une paire de chaussures posée sur le bitume d’où émerge un drôle de « paquet » qu’on a affaire à une présence humaine.
Intrépides graffeurs
L’exposition se termine par une série de bâtiments abandonnés du centre de Sao Paulo, des immeubles tagués par d’intrépides graffeurs, les pixieros. Des grandes carcasses vides qui font écho aux sans-abri. On estime en effet à 350 000 le nombre de logements vides dans la cité, un chiffre à mettre en regard des 400 000 familles à la rue. Les Brésils de Ludovic Carème rappellent les photos de Walker Evans, Paul Strand, Jacques Verger ou encore August Sander, égrène Christian Caujolle, qui présente dans le même lieu son exposition 40 ans après, la photographie contemporaine au Cambodge, dont nous vous avions déjà parlé ici. Une autre bonne raison de vous rendre à la Friche la Belle de Mai cet été, un lieu magique où vous pourrez découvrir bien d’autres choses encore.
Les photos de Brésils sont à retrouver dans deux superbes ouvrages publiés aux éditions Xavier Barral.
Jusqu’au 29 septembre 2019
Friche la Belle de Mai
Brésils, de Ludovic Carème
40 ans après, la photographie contemporaine au Cambodge
© Ludovic Carème