Fisheye vous donne la parole durant le confinement. Chaque semaine, découvrez des photos et son auteur(e). Durant deux jours, Sonia Reveyaz, 22 ans, a immortalisé New York se vidant de ses habitants. Focus sur une artiste pour qui il est indispensable de cultiver son temps libre.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Sonia Reveyaz, 22 ans. Je suis étudiante en Science Politique. Cette année, j’ai décidé de réaliser une année de césure pour découvrir des régions et pays qui me tenaient à cœur. J’ai passé mon premier semestre en Inde au sein d’une ONG émancipant les femmes et les filles issues de milieux défavorisés par le biais du travail et de l’éducation. Mon approche documentaire m’a poussée à réaliser plusieurs articles et photographies dénonçant les discriminations et inégalités auxquelles les indiennes doivent faire face dans leur pays. Je me suis ensuite rendue à New York prendre des cours de photojournalisme à l’International Center of Photography. J’ai malheureusement du arrêter pour cause de pandémie et de mon retour précipité en France.
Comment vis-tu ton confinement ?
Les débuts étaient difficiles mais je me suis rapidement imposée un rythme de vie, notamment culturelle. J’aime avoir mon cerveau stimulé ! Passionnée de cinéma, j’essaie de regarder un film par jour, je revois mes classiques et je varie les genres, de Scarface jusqu’à La Leçon de piano ! Les histoires me permettent de m’évader de cet enfermement. Et à mon grand bonheur, je reprends goût à la lecture. C’était enfin le moment pour moi de commencer le roman d’anticipation 1984, de George Orwell. Un ouvrage plutôt représentatif de ce que nous sommes en train de vivre.
Tu es désormais confinée en France, quelles sont les différences majeures que tu as observé entre les deux pays, dans le traitement de cette crise notamment ?
À New York, les rues se sont drastiquement vidées, et ce, dès les premiers appels à rester chez soi, autour du 10 mars. C’était tellement déroutant de découvrir une autre image de New York. La ville qui ne dort jamais était désormais transformée en ville fantôme. J’ai alors profité de mes deux derniers jours là-bas pour fusiller de clichés l’inédit de la situation.
Les américains ne plaisantent pas, et le stéréotype sur leur paranoïa se confirme. En témoignent les chiffres sur la hausse de la vente d’armes aux États-Unis. C’est terrible. Je pense que le pays a tardé à réaliser le danger du contexte surtout face à l’ampleur de leur population. Cela dit, les primaires présidentielles ont été annulées très rapidement, contrairement en France où le premier tour des élections municipales a été maintenu. Désormais, les conséquences aux États-Unis sont dramatiques et les tensions se font sentir, d’autant plus face au système de santé très faible et dont l’accès est inégalitaire. En France, nous avons un des meilleurs systèmes de santé, c’est une chance.
Qu’as-tu appris sur ta pratique photo en cette étrange période ?
Préférant les photos de terrain, je suis à l’arrêt en ce moment. Alors j’en profite pour trier les photos accumulées au fil des années sur mon ordinateur. Cela me permet de prendre du recul sur ma pratique. Pour enrichir ma culture, j’étudie les travaux des pionniers de la photographie, comme Robert Capa ou Nadar, notamment à travers des documentaires et reportages. Je raffole de ceux proposés par Arte, c’est d’ailleurs sur leur chaîne que j’ai découvert le travail impressionnant de la photographe Vivian Maier. Je découvre ainsi de nouveaux artistes tous les jours. Sur les réseaux sociaux, je trouve que la contrainte du confinement libère notre part artistique et stimule notre créativité. C’est un mal pour un bien.
Si tu devais être confinée avec un ou une photographe, qui serait l’heureux.se élu.e ?
Quelle chance… Je dirai Mary Ellen Mark ! C’est une des premières photographes que j’ai découvertes quand j’étais adolescente. Son regard pénétrant sur l’humain, les marginaux, ou encore les reclus de la société est bouleversant. J’aime les artistes engagés, qui comme elle, rendent visibles les invisibles. Elle touche dans le vif l’œil et le cœur du spectateur. Son travail sur les prostituées indiennes m’a notamment touché. On y découvre des photographies sensibles et représentatives d’une Inde dont nous avons souvent une image biaisée.
Quel est ton mantra favori, histoire de rester optimiste ?
Bonne transition avec l’hindouisme… J’aimerai citer le magnifique poème de Pablo Neruda… une bonne leçon de vie quand on a besoin d’un coup de pied aux fesses.
Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les cœurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant !
Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite !
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !
Un dernier mot ?
Profitons de ce temps donné pour lire, regarder des films, voir des pièces de théâtre, écrire, jouer de la musique, et apprendre ! Le temps libre se fait rare dans notre société, il faut le cultiver au lieu de se plaindre de la situation.
© Sonia Reveyaz