« Ce soir, ce n’est pas comme d’habitude », annonçait Marc Feldman, l’administrateur général de l’Orchestre symphonique de Bretagne, vendredi 20 avril sur la scène du Couvent des Jacobins, à Rennes. Il y avait un orchestre et un écran. Durant deux soirées-hommages aux hommes et femmes de la mer, photographie et musique se sont mélangés, un magnifique voyage expérimental. Fisheye vous raconte.
À 20h, on regagne les fauteuils rouges du couvent inauguré quelques mois plus tôt. Le public, principalement poivre et sel, s’impatiente. Les lumières s’éteignent. Silence Maestro ! L’arrivée du pianiste François Dumont provoque un tonnerre d’applaudissements … quelques minutes auront suffi pour comprendre pourquoi.
Nul besoin d’avoir fait le conservatoire par apprécier la prestation du virtuose – François Dumont, jouait sans partition. L’orage menaçant, le clapotis de l’eau ou encore le roulement des vagues sur le rivage…très vite, on prend le large.
Petit entracte. Des hommes en noir enlèvent le piano et déroulent un grand écran. Murmures dans la salle puis Anita, un poème symphonique signé Benoît Menut. Un double hommage à Jean Cras – officier de marine et compositeur français et Anita Conti, la première femme océanographe française. 127 clichés d’Anita Conti accompagnent 20 minutes de musique à la fois « lyrique et introvertie ». Là encore, les images noir et blanc présentées en diptyque nous bercent et transportent aisément sur le pont ou dans une cabine d’un bateau de pêche. « Bien qu’il y ait un passage puissant et très dynamique qui évoque la tempête, la partition est d’essence plutôt méditative », précise le compositeur. La musique traduit l’émotion du musicien envers cette grande Dame et rappelle ses engagements. Si cette dernière a rationalisé les pratiques de pêche hauturière, elle a dans les années 1940, lancé l’alerte sur la raréfaction des ressources marines.
Le lauréat de la résidence de création L’Atelier des Ailleurs, Julien Gauthier nous livre ensuite sa Symphonie australe. Une création réalisée durant cinq mois, sur la base scientifique de Port-aux-Français, de l’archipel des Kerguelen, au coeur des Terres australes et antarctiques françaises. Une vidéo accompagne une musique instrumentale inspirée des sons de la nature : oiseaux marins ou encore le vent.
Enfin, le célèbre opéra Peter Grimes de Benjamin Britten a été associé aux images de Stéphane Lavoué. Le premier raconte l’histoire tragique d’un pêcheur et le second dévoile de sublimes images tirées de sa série A terre ! des hommes et des femmes dont leur vie est rythmée par la pêche. Le dernier interlude Storm presto con fuoco, composés de vents puissants (cordes) et d’une mer démontée (cuivre) s’accordait parfaitement avec les portraits de Stéphane. Les éléments naturels figurés par Britten deviennent des personnages à part entière, au même titre que les modèles du photographe.
© Stephane Lavoué
Composer avec des images : un défi relevé avec brio
Concert-photo ou photo-concert ? Tout dépend de la sensibilité de chacun. Et finalement, est-il nécessaire de trancher ? Pas sûr. « J’aime cette égalité, on ne sait pas qui de la musique et/ou de la photographie prime », confie Florence Drouet, la directrice artistique photo qui a amorcé ce travail avec Marc Feldman il y a deux ans. « Si j’ai toujours cru aux écritures pour écrans, voilà un exercice différent et passionnant », précise-t-elle. Car il ne s’agit pas ici de construire un diaporama original, mais d’« écrire des phrases photographiques selon le rythme de la musique ». Étonnant que ce format n’ait su convaincre davantage de professionnels de la photo. Durant presque deux heures, on assiste à un nouveau dialogue entre image et musique. Si les partitions – musicales et photographiques- ont été écrites ensemble, les images ont été lancées à la musique. « Grant Lliewellyn a dirigé 55 musiciens, plus un autre, qui jouait une partition d’images », résume Florence. Et puis, les images sont soumises aux aléas du spectacle vivant. « Selon comment mange et dort le chef d’orchestre, il jouera plus ou moins vite, une contrainte pour nous », confie Stephane Lavoué.
Si ce format (re)donne vie aux images, il apparaît aussi comme un bel outil de sensibilisation. Comment donc protéger les mers et les océans aujourd’hui ? Aucune réponse n’est apportée, néanmoins les images et la musique subliment notre environnement si précieux et rappellent que rien n’est éternel. Ce concert en images sera rejoué le 8 juin 2020 à l’occasion de la journée internationale de la mer.
SELECTION LIVRE “LA DAME DE LA MER”
TRAVAIL DE LA MORUE DANS LES PARCS DU “VIKINGS”
MER DE SVALBARD
1939
N°10563
“Les Terre-Neuvas”
Sélection livre
1956
© Anita Conti
© Stephane Lavoué