Réalisé au lendemain du confinement, Ali, court métrage imaginé par Julien Soulier, suit un jeune sportif, amateur de street workout. Tourné à la pellicule, le documentaire hisse la discipline au rang d’art, et propose, au regardeur, une évasion bienvenue.
« Je pars de la photographie pour réaliser mes films, parce que je ne sais pas dessiner. J’ai besoin de cet élément pour me projeter. Face à mes images, je me demande ce qu’elles donneraient animées. Et puis seul, à l’argentique, tu fais sérieux, les gens t’accordent plus d’attention. C’est une accroche pour cerner ton sujet. Je ne suis pas un photographe qui a toujours son boîtier sur lui. Je ne le sors que quand j’ai une image en tête »,
confie Julien Soulier. Membre de Partizan – une société de production audiovisuelle comptant notamment Michel Gondry en son sein – l’auteur s’est formé aux 7e et 8e art dans le feu de l’action. « Dans ce genre de boîte, il faut trouver son propre style. On est donc encouragé à nous développer, fabriquer, nous démerder », précise-t-il. Après quelques tournages, et un premier gros contrat – avec L’Oréal – Julien Soulier s’envole pour le Canada, au sein d’un milieu singulier, celui des Demolition Derby (courses automobiles où l’on détruit des véhicules déjà endommagés, NDLR). « Je m’y suis beaucoup retrouvé, je ne faisais que shooter, je passais mon temps avec eux… J’avais trouvé mon style : raconter les histoires, autour de portraits, de communautés moins connues », se souvient-il.
Séries photographiques, commandes publicitaires, clips vidéo, édition de magazines… Rapidement, les « tunnels créatifs » s’enchaînent, et l’artiste poursuit sa carrière, collaborant avec des musiciens, des sportifs, et travaillant aux côtés de journalistes. En séjour à Atlanta, il découvre le disco roller, « un sport très ghetto mais très joyeux », et commence à imaginer un documentaire autour de cette activité. « Mais le Covid frappe, et impossible de retourner aux États-Unis… En m’armant de patience, j’ai voulu expérimenter avec ce nouveau format en attendant le feu vert. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’un groupe de mecs à Marseille, qui font du street workout ».
Prouesse artistique
Sur la plage de sable blanc, la mer et le ciel azur en toile de fond, naît alors Ali. Un court métrage documentaire artistique, portrait d’un des jeunes athlètes de la communauté. « Je suis tombé sous le charme du côté figure, break dance de ce sport. J’ai voulu à tout prix effacer l’ambiance biscoto, musculation pour me concentrer sur la dimension “discipline” d’un milieu très codifié », explique Julien Soulier. Entouré de trois acolytes – une chef opératrice, Amandine Nolin, son assistant et un ingénieur son – l’artiste descend en voiture dans le Sud. « Tu fais un Tetris avec toutes tes affaires, tu prends un airbnb très proche de ton sujet, histoire de pouvoir le suivre facilement, et c’est parti », précise-t-il.
Tourné à la pellicule, une première pour l’auteur, le film parvient à capter une certaine insouciance, un parfum d’évasion. Dans cet univers aux tons pastel, le corps d’Ali se démarque, devient sculptural et impressionne dans sa défiance de la gravité. Minimalistes, les plans révèlent les grains de l’argentique et apportent une dimension esthétique palpable au récit. Une poésie complétée par les mots de Théo, qui prête sa voix au sportif. « C’est un ami qui s’intéresse beaucoup aux banlieues et qui avait réalisé un projet pour France TV, Des racines et des rêves, où il écrivait des portraits slammés des jeunes de Roubaix », commente Julien Soulier. Car là où Ali préfère rester silencieux et laisser son corps s’exprimer pour lui, les mots de l’auteur font tomber les murs entre activité banale et prouesse artistique. Hébergé sur Nowness « une plateforme qui met en avant du contenu libre et des projets passion : je voulais qu’Ali y trouve sa place », le court métrage s’impose comme un OVNI, en dehors des genres. Une œuvre immersive, dépaysante, tournée aux premiers jours de liberté post-confinement. Une création reflétant un besoin collectif de libération, de légèreté.
Ali © Julien Soulier