Bouleversé par deux tragédies familiales, Allan Salas s’est isolé au bord de mer, au contact de la nature. Là-bas, il construit The rooted heart began to change. Un projet métaphorique, explorant la notion de deuil, et notre relation à la mort.
« L’incertitude est essentielle. Mon approche est intuitive, spontanée, chaotique. Je l’imagine comme des émotions en dérive, qui se fracassent contre des rochers »
, déclare Allan Salas, 27 ans. Installé à Costa Rica, le photographe explore, à travers ses projets, les notions de mortalité, de temps qui passe et notre relation à la nature. En décembre 2020, sa grand-mère paternel décède. Un mois plus tard, son père survit à une crise cardiaque. Une suite d’événements qui pousse l’artiste à s’isoler, au bord de mer, loin de tout. « J’ai logé dans une maison qui me rappelle mon enfance. J’avais besoin d’être seul pour faire le point sur mes sentiments. En mars 2021, j’ai initié The rooted heart began to change. C’était un moyen de questionner mon rapport au deuil, et d’explorer les doutes existentiels qui m’assaillaient », raconte-t-il.
Perçu comme un journal intime à ciel ouvert, le projet emprunte au genre poétique, et se transforme, grandit, devient l’écho du réel – le réel qui entoure Allan Salas. « Ce qui m’intéresse, en photographie, est de créer quelque chose d’émotionnel, de réaliser des images suggestives, ouvertes à toute interprétation », précise-t-il. Un mélange d’abstractions et de métaphores, qu’il peine à expliciter à travers le langage. Et, de ces bulles imagées, naissent des récits, des excursions dans son subconscient, qui l’aident à avancer.
Éternité et fugacité
Perdu, dans ce paysage sauvage, Allan Salas se prend à tout associer à la mort. Les arbres nus, les fleurs fanées, l’écume des vagues, lissées par un monochrome mélancolique, deviennent des allégories du chagrin. Dans cet univers à la beauté silencieuse, la tristesse et la perte de l’autre semblent latentes. Une douleur sourde égrainant les notes d’une mélodie morose. « Si ce processus ne m’a pas paru thérapeutique sur le coup, je suis persuadé qu’il le deviendra », commente le photographe. Car, face à la nature, une autre temporalité surgit – plus ancienne, moins fragile. Au contact des éléments, l’existence humaine apparaît finalement comme éphémère, dérisoire dans la grande évolution du monde. « Ils deviennent un décor, en relation avec notre “moi”. Une nouvelle narration émerge alors, et donne à voir une atmosphère pleine d’ambiguïté, de changements soudains, qui modèlent notre vie », commente-t-il.
Cette incertitude, l’auteur l’illustre notamment dans la délicatesse d’une image : « on y voit un oiseau posé sur un doigt. Il s’agit de celui de mon père, six mois après sa crise cardiaque. Une métaphore représentant à la fois ma peur de la mort, le déclin du corps, et la fragilité de l’existence. Il y a l’oiseau blanc à la place de son cœur. Les grains de beauté sur sa poitrine. Les veines sur sa main. Et le doigt qu’il a perdu. » Entre éternité et fugacité, force et vulnérabilité, sagesse et crainte, The rooted heart began to change illustre les pensées en pagaille d’un artiste en recherche de soi. Le constat terrible de l’impermanence du vivant. L’anxiété résolument humaine face à l’inconnu.
© Allan Salas