En fête et contre tous

19 mai 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
En fête et contre tous

Sur le compte Instagram de curation photographique tough luck, la scène underground brille au rythme des flashs argentiques. Jeunesse en émoi, foule en délire… Immersion dans les coulisses emplies d’ivresse, du monde de la nuit.

Lieu de transgression, exutoire ou théâtre d’excès, le monde de la nuit attire et inspire autant qu’il effraie et – parfois – consterne. Pour Jordan Taylor, curateur indépendant, originaire de Newcastle, l’univers des raves party n’a plus de secrets. « Je crois que mon premier souvenir de fêtes remonte à mes 12 ou 13 ans. En Angleterre la consommation d’alcool débute assez jeune, on commence à aller en soirée chez les parents d’amis lorsqu’ils ne sont pas là, ou l’on se retrouve en douce dans des parcs à la tombée de la nuit », se souvient ce grand amateur de musique électronique avec amusement. En véritable amoureux du 8e art et du milieu alternatif, il lance en août 2020 ­− mois de l’apogée du confinement en Angleterre − un compte Instagram collaboratif de photographies argentiques : @toughluckuk. L’idée ? Archiver l’imagerie de la culture underground et partager l’essence de ces évènements à travers des instantanés bruts, parfois trash, mais grandement authentiques.

Rêver en rave  

Depuis son lancement en 2020, tough luck diffuse son lot de scènes débridées et comptabilise aujourd’hui 39 700 abonnés. Amateurs ou professionnels, des photographes du monde entier soumettent leurs créations. « Je trouve intéressant de voir des sourires, des visages et des caractères finalement assez similaires. C’est prouver que nous sommes tous liés par cette joie dans la fête », explique-t-il. C’est également le ressenti d’Isabel Farrington − alias @bel___lens sur Instagram − étudiante dublinoise de 21 ans et photographe amatrice. « Lors du premier confinement, alors que les clubs étaient fermés et qu’il n’y avait pas grand-chose à faire, on s’est mis à fréquenter des raves illégales entre amis. J’ai testé le point and shoot pour capturer l’expérience et en garder des souvenirs impérissables », affirme-t-elle. Participante et témoin active de cette vie nocturne décomplexée, elle conçoit le médium comme un moyen de se connecter à autrui, de s’intégrer à la foule sans mettre les sujets mal à l’aise tout en restant dans l’élan festif. « Ce qui me plaît dans la photographie argentique ? L’émotion brute. J’aime figer la joie, la libération sans entrave, sans poses ni ressentis factices », ajoute-t-elle.

© @hypocean / Instagram© @thepowershit / Instagram

© à g. @hypocean, à d. @thepowershit / Instagram

Danser pour mieux transgresser  

En pleine pandémie, le compte Instagram tough luck partageait les images des soirées illégales qui avaient lieu en sous-terrain. Ce flux visuel et intempestif permettait de dévoiler un besoin cruel de reprendre une vie normale, la nécessité de s’amuser sans contraintes. Dans la culture underground, tout tend à se défaire des codes aliénants de notre société. La nuit devient alors un espace libéré, fluide où les mœurs et les normes –quelques qu’elles soient – sont abolies. Et dans les clichés repostés par Jordan Taylor, les portraits figent des fragments d’évasion collective incisifs et crus. Corps en transe, amours éphémères, visages hurlant de joie ou de plaisir… Tout ici brûle de vie.

Mais derrière ces visages d’une jeunesse extravertie se cache aussi une violence avérée, volontaire ou forcée. C’est celle d’une consommation outrancière d’alcool ou de stupéfiant, comme pour échapper à la réalité. C’est également celle que de nombreuses personnes subissent à leur insu en soirées, en étant droguées ou harcelées. « Le monde de la nuit n’est certainement pas un lieu sûr. J’ai entendu tellement d’histoires d’agressions sexuelles ou de discrimination. Cependant, je n’en ai jamais été témoin ni victime. Les personnes ont tendance à penser que les raves sont des espaces effrayants et dangereux. De mon expérience, j’y ai surtout croisé des gens qui s’y regroupaient par amour de la musique », explique Isabel Farrington.

Et dans ce milieu marginalisé, souvent condamné, règne un air d’émancipation. Réunis autour d’un amour inconditionnel pour la fête et un dans un sentiment de communauté, chacun désire − l’espace d’une line up léchée − célébrer et danser jusqu’à en oublier le jour et son obscurité.

© @_erinhanna / Instagram© Isabel Farrington

© à d. @_erinhanna / Instagram, à g. Isabel Farrington

© @carlabaklava / Instagram© @andrewalkr / Instagram

© à g. @carlabaklava, à d. @andrewalkr / Instagram

© @hypocean / Instagram

© @hypocean / Instagram

© @noaaarch / Instagram© @almostdecent / Instagram© @almostdecent / Instagram

© à g. @noaaarch, à d. @almostdecent / Instagram

© Isabel Farrington

© Isabel Farrington / @bel____lens

© @_erinhanna / Instagram© @almostdecent / Instagram

© à d. @_erinhanna, à g. @almostdecent / Instagram

© @danitejedera / Instagram

© @danitejedera / Instagram

© @theoscarlozada / Instagram© @hypocean / Instagram

© à g. @theoscarlozada, à d.@almostdecent / Instagram

© Isabel Farrington© Isabel Farrington

Image d’ouverture © Isabel Farrington / @bel____lens

Explorez
Gabrielle Ravet : de l'autre côté du poster, la ferveur des fans
© Gabrielle Ravet
Gabrielle Ravet : de l’autre côté du poster, la ferveur des fans
Entre New York et les salles de concert, la photographe française Gabrielle Ravet explore les communautés de fans comme on scrute une...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Marianne et Ebba, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Parmi les photographes qui travaillent autour des archives, un certain nombre s’intéresse aux images qui pourraient figurer, si ce n’est...
25 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Rotting from Within © Abdulhamid Kircher
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Dans son travail Rotting from Within, lauréat du grand prix Images Vevey, Abdulhamid Kircher livre un récit intime : tenter de briser un...
23 octobre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
© Justin Phillips
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
Justin Phillips et Salomé Luce, nos coups de cœur de la semaine, dessinent des images dans lesquelles les saisons défilent. Le premier...
20 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Gabrielle Ravet : de l'autre côté du poster, la ferveur des fans
© Gabrielle Ravet
Gabrielle Ravet : de l’autre côté du poster, la ferveur des fans
Entre New York et les salles de concert, la photographe française Gabrielle Ravet explore les communautés de fans comme on scrute une...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #530 : une étrange nuit d'octobre
© verknipts / Instagram
La sélection Instagram #530 : une étrange nuit d’octobre
Dans la brume, dans les ciels sombres, dans les forêts épaisses, les artistes de la sélection Instagram de la semaine célèbrent les...
28 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
Le coup de grâce lors d'une corrida à Madrid © Oan Kim/MYOP
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
À travers un noir et blanc contrasté, qui rappelle la chaleur sèche de l'Andalousie, Oan Kim, cofondateur de l'agence MYOP, montre...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
5 coups de cœur qui utilisent le noir et blanc
© David Zheng
5 coups de cœur qui utilisent le noir et blanc
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet