Dans sa série Saintes-Maries-de-la-Mer, Ricardo Raspa rend hommage aux gens du voyage européens. Le photographe partage les rites et festivités qui rythment le pèlerinage à la capitale camarguaise.
C’est un rituel. Tous les ans, des milliers de gens du voyage convergent vers le sud de la France pour célébrer leur sainte dans des processions majestueuses. Souvent appelé le « pèlerinage gitan », cet évènement est un moment clé de cette culture méconnue des profanes. En 1935, le Marquis de Baroncelli et quelques gardians de Camargue (gardiens de chevaux en semi-liberté, NDLR), soucieux de donner aux Gitans une place dans le pèlerinage initial (ils n’étaient alors que quelques centaines, mélangés à la grande foule des pèlerins de Provence et du Languedoc), ont organisé avec les Gitans de la région cette marche vers la mer en souvenir de l’arrivée de leur sainte sur les côtes françaises.
Depuis, chaque printemps, Gitans, Tsiganes, Manouches ou Roms viennent honorer leur sainte patronne, Sara. Sara la noire aurait été la servante de sainte Jacobé et sainte Salomé fêtées de longue date aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Si ses origines sont discutées et n’apparaissent que tardivement dans les différents récits, elle serait une version christianisée de la Kali. Cette dernière est la déesse de la création, de la maladie et de la mort, pourvue elle aussi d’un visage noir et immergée dans l’eau tous les ans en Inde. Cette provenance hindoue de Sainte Sara rattacherait les Roms à leurs origines indiennes bien que la hiérarchie catholique romaine tente de garder le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer dans le giron officiel de la chrétienté.
Des gitans brésiliens
Ce grand rassemblement a attiré l’objectif du photographe italien Riccardo Raspa. Nourri par les images des films de son adolescence, l’auteur va ainsi documenter ce moment religieux et touristique. « Un jour de 2018, alors que je me trouvais sur un projet commercial, j’ai partagé avec la productrice mon amour pour le monde gitan, se souvient-il. C’est elle qui m’a parlé du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer. Mais c’est à travers ma passion pour le cinéma que j’ai découvert cette culture, notamment les réalisations d’Emir Kusturica.» Curieux, le photographe résidant en Angleterre commence ses recherches et part comme un routard pour la Camargue.
« Je suis arrivé sans endroit où dormir, confie l’artiste. Alors je me suis installé sur la plage. Très vite, j’ai fait la connaissance d’une famille gitane. C’est eux qui m’ont appris les détails de ce rassemblement et raconté la légende de Sainte Sara. Ils m’ont accueilli gentiment et ont partagé leur savoir.» Un monde nouveau s’ouvre à Riccardo Raspa. « J’ai découvert plein de choses que j’ignorais, raconte-t-il. Par exemple, j’ai rencontré des gitans brésiliens alors que je pensais qu’il n’y en avait qu’en Europe. L’événement était extrêmement riche en couleurs, en musique, en émotions et en personnages. Avec en point d’orgue les processions jusqu’à la mer et la bénédiction des statues des Saintes. »
La stigmatisation et la haine
Le photographe remarque également les précautions exagérées que les autorités prennent à l’occasion de ces quatre jours de cérémonies et de recueillement. « Il y avait beaucoup de policiers sur place, lors de la fête de Sainte Sara. Je ne pensais pas cela nécessaire et presque insultant pour une fête catholique. Cela rappelle la stigmatisation et la haine dont souffrent encore les gitans. Mais j’ai aussi vu avec joie à quel point les habitants de la petite ville étaient accueillants avec eux. Je crois que nous ne devrions pas faire attention aux légendes et même nous en détacher. »
Désormais, Riccardo Raspa souhaite continuer à documenter la culture gitane partout en Europe. Et force est de constater que la tâche s’annonce compliquée. Les conditions sanitaires et les politiques non coordonnées entre les pays empêchent les déplacements (un comble pour un peuple nomade) et presque tous les rassemblements. Ainsi, les festivités des Saintes-Maries-de-la-Mer ont été annulées en 2020 et les regroupements en 2021 s’annoncent compliqués.
© Riccardo Raspa