Avec Je suis la terre, Caroline Ruffault réécrit les relations entre les hommes et la nature et imagine un monde harmonieux. Une œuvre écoféministe emprunte de magie.
« Il y a bientôt deux ans, un ancien agriculteur bio, un peu chaman – même s’il n’aime pas ce terme – est venu s’asseoir à côté de moi dans le train. Il rentrait d’une danse du soleil en Dakota du Sud et irradiait d’énergie. Après deux heures passées ensemble, j’étais invitée à ma première tente de sudation. Je venais de rentrer en France après une expatriation et j’avais besoin de retrouver un sentiment d’appartenance. Là-bas, j’ai découvert un petit paradis : dans la tente, pieds nus, assis sur le sol, au milieu de la nature et des arbres, on se connecte à tout ce qui nous entoure et surtout à nous-même »,
raconte Caroline Ruffault.
Portée par cette expérience métaphysique, la photographe française rêve. La nuit, elle se transforme en arbre, au cœur d’une forêt de femmes, les pieds enracinés dans le sol. Une connexion à la terre primaire, tactile qui lui parle et l’obsède. Ainsi nait Je suis la terre, une série faite de noir et blanc, d’ombres et de contrastes. Dans ce monde brut, les êtres vivants sont connectés, et avancent, avec précaution, vers un avenir commun.
Créer le réel de demain
Tantôt visible, tantôt discrète, la nature s’immisce dans chaque cliché. Imperceptible, la force des éléments renverse les codes. « La voiture ou le poteau électrique sont presque engloutis et recouverts par des plantes, tout comme le bateau à l’envers », précise l’artiste. Un souffle vivant, puissant qui émane de la planète et enrobe chaque parcelle de vie. Capturant d’ordinaire les corps féminins, Caroline Ruffault se laisse ici influencer par l’écoféminisme. « J’ai été happée par ce concept qui réunit le féminisme, la nature et la “magie”. La sorcière, activiste et écrivaine américaine Starhawk définit le terme magie comme la capacité à imaginer de nouvelles utopies pour créer le réel de demain, et surtout un futur désirable », explique-t-elle.
Harmonieusement, la photographe peint un tableau délicat, composé d’écorces, de vent, et d’êtres humains. Terminée durant le confinement, la série s’inscrit dans une volonté de se déconnecter, de fuir l’anxiété générale pour apprendre à vivre avec la nature et la respecter. Ancrées dans un silence profond et majestueux, les images forment un cercle vertueux. Mythologies, rêves et espoirs cohabitent dans cet étrange univers, où l’emprise de l’Homme semble – enfin – avoir disparu. Inspirée par une utopie accessible, l’artiste construit un décor paisible, et laisse les traces humaines s’enfoncer dans la terre noire. « Loin des immeubles et du bruit des autres, j’existe, sans vouloir être plus », conclut-elle.
© Caroline Ruffault