Dans Body Becoming, un projet intime mettant en scène sa propre famille, la photographe américaine Leah Edelman-Brier interroge notre relation au corps et à la beauté.
Artiste américaine, Leah Edelman-Brier s’est tournée très tôt vers la photographie. Une manière pour elle de « capturer ce qui [l’]entoure et examiner le résultat plus tard ». L’appareil photo est pour elle un outil ambigu, pouvant saisir des faits réels, comme des fictions. Un instrument complexe, qui l’aide à créer des séries chargées de symboles.
Pour réaliser Body Becoming, la photographe s’est intéressée à sa propre famille : sa mère et sa sœur. Un récit intime, documentant la peur universelle de « finir comme ses parents ». « Cette crainte, qu’elle soit liée au physique, au psychologique ou à l’émotionnel est un fardeau universel, explique la photographe. Elle affecte ma mère d’une façon, ma sœur d’une autre, et le regardeur d’une manière encore différente. » En dénudant ses deux modèles, la photographe place le corps au centre de sa réflexion. L’un vieillissant, malade et affaibli, et l’autre, jeune et lisse. À leurs côtés, des fruits, ouverts et pulpeux, évoquent à tour de rôle la sensualité, la fécondité, et le pourrissement. Un message fort et délicat.
Jeunesse et décrépitude
« Je suis attirée par la beauté, et je la trouve toujours dans des endroits improbables. En résultent des images que l’on pourrait considérer grotesques
. Le corps de ma mère est l’incarnation de ce que la société nous a appris à rejeter : sa taille, sa graisse, sa maladie. Mais lorsque mon corps a commencé à changer et à ressembler au sien, je me suis imaginée devenir comme elle, en vieillissant », raconte Leah Edelman-Brier. Inspirée par la psychanalyste Julia Kristeva – dont la trilogie, Le génie féminin : la vie, la folie, les mots, explore l’économie libidinale spécifique au sujet féminin, et met en lumière la singularité de chaque sujet – la photographe interroge les notions de beauté et d’abjection. Si Body Becoming représente la laideur avec honnêteté, la série humanise avec tendresse le déclin de la figure maternelle, et met en contraste jeunesse et décrépitude.
Pour la photographe, essayer de combattre la génétique revient à déclarer la guerre à la nature. Un acte futile et voué à l’échec. Ainsi, les corps des deux femmes ne s’opposent pas, mais se complètent, chacun menant un combat intérieur : l’un faisant face au futur, l’autre au regret. Une lutte intime et personnelle, à laquelle la vulnérabilité du nu fait écho. Une décision réfléchie pour Leah Edelman-Brier, qui précise : « Dans notre culture, beauté et désir sont devenus indissociables. Les femmes de ma série jouent avec les notions de séduction et de désir, mais aussi d’abjection. Dans cette mise en scène, une tension se crée – le désir et la beauté sont séparés, et le regardeur doit s’interroger sur ses propres réactions. » Une série psychologique et complexe, qui déconstruit les idéaux de notre monde, et propose une vision alternative de la « perfection ».
© Leah Edelman-Brier