« La chronique de la mort prochaine d’une des communautés les plus reculées des États-Unis »

« La chronique de la mort prochaine d’une des communautés les plus reculées des États-Unis »

Sébastien Leban s’est rendu à Tangier, une île située dans l’État de Virginie, aux États-Unis, et touchée par le réchauffement climatique. Dans Tangier, l’île perdue, le photographe français documente le quotidien de ses habitants, supporters de Donald Trump et climatosceptiques, courant, sans le savoir, à leur perte.

Fisheye : Comment as-tu débuté ta carrière de photographe ?

Sébastien Leban : J’ai débuté en 2012, durant la campagne présidentielle. À l’époque, je venais de finir mon Master en communication, et je n’avais qu’une envie : faire du journalisme à travers la photographie. Aujourd’hui, à 32 ans, je suis photojournaliste. Je travaille en commande pour la presse quotidienne et les magazines, et je réalise en parallèle des projets personnels.

Qu’essaies-tu de transmettre, à travers tes projets ?

Je pense que mon approche est à mi-chemin entre le documentaire et le reportage, même si la frontière entre les deux est souvent très mince. J’essaie au maximum de transmettre à travers mes images une approche sensible et humaine. Aussi, je cherche toujours à nouer des liens avec mes rencontres, lors des reportages. Le respect du sujet photographié et la justesse du message m’importent énormément.

Pourquoi t’es-tu intéressé à l’île de Tangier ?

J’ai voulu travailler sur Tangier après avoir lu un article à propos de l’île dans la presse américaine. Le lieu, la problématique, le contexte politique m’ont immédiatement séduit. J’étais également fascinée par la vie communautaire – un thème que l’on retrouve souvent dans mon travail. Une communauté insulaire est un « terrain de jeu » idéal, puisqu’il est limité dans l’espace. Dans le cas de l’île, il est également limité dans le temps : la menace qui plane sur ce territoire n’a fait qu’accentuer mon intérêt pour le sujet. Ce reportage est le premier volet d’un projet d’une plus grande ampleur sur les conséquences du dérèglement climatique sur les populations : les réfugiés climatiques.

© Sébastien Leban

Comment as-tu été accueilli par les habitants de Tangier ?

Assez froidement au départ. Les habitants sont méfiants, et depuis que l’île est médiatisée aux États-Unis, ils voient régulièrement défiler des journalistes, de télévision essentiellement. Mais après quelques jours, à force de persévérance, j’ai réussi à nouer de vrais liens avec eux, et cela a facilité mon travail. Si la confiance est difficile à établir en une dizaine de jours, elle est fondamentale pour entrer pleinement dans le sujet lorsqu’on est sur place.

Mais même une fois accepté, le dialogue demeure complexe. Il ne faut pas rentrer dans le débat, et savoir se contenter de son rôle d’observateur, car tout le monde sur l’île nie farouchement le dérèglement climatique, alors qu’ils se trouvent les premiers impactés.

Tu traites en parallèle les enjeux environnementaux et politiques dans ta série. Pourquoi ?

Tangier est menacée par deux choses : la montée des eaux – elle est deux fois plus rapide dans la baie de Chesepeake que dans le reste du monde – et l’érosion. Chaque année, l’île perd entre trois et quatre mètres de côté : une évolution alarmante ! Pourtant, les habitants demeurent climatosceptiques. La dimension politique est étroitement liée à cette certitude. L’île est historiquement républicaine, et a voté en majorité (plus de 80%) pour Donald Trump aux élections présidentielles. Les habitants soutiennent le président américain corps et âme et ne veulent rien savoir du climat. Il me paraissait donc logique de traiter ces deux enjeux, tant ils sont liés et s’imbriquent dans la vie des insulaires.

Comment les résidents de Tangier ont-ils réagi à ton projet ?

Ils ont bien réagi. Je suis toujours en contact avec plusieurs d’entre eux, et je compte y retourner bientôt. La plupart apprécient que l’on parle de leur île, peu importe l’angle d’approche, et ont aimé être mis en valeur photographiquement. De leur point de vue, il s’agit également d’une manière de renforcer et diffuser leur propre vision de la situation.

Que souhaitais-tu mettre en évidence, à travers Tangier, l’île perdue ?

Cette série est une illustration de la catastrophe qui se prépare. Elle est la preuve que le réchauffement climatique ne se limite pas aux zones les plus pauvres et les plus vulnérables de notre planète. Un pays aussi immense et puissant que les États-Unis peut également être touché, et ce dès aujourd’hui. Ce projet représente à mes yeux la chronique de la mort prochaine d’une des communautés les plus reculées de l’est du territoire américain.

© Sébastien Leban

© Sébastien Leban

© Sébastien Leban© Sébastien Leban

© Sébastien Leban© Sébastien Leban

© Sébastien Leban© Sébastien Leban

© Sébastien Leban© Sébastien Leban

© Sébastien Leban

Explorez
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Anouk Durocher : portrait d'une révolution intime
© Anouk Durocher
Anouk Durocher : portrait d’une révolution intime
Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l'approche...
08 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
08 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Santé mentale et photographie : 22 séries qui expriment les maux
© No Sovereign Author
Santé mentale et photographie : 22 séries qui expriment les maux
La santé mentale est la grande cause de l’année 2025 en France. Pour cette occasion, la rédaction de Fisheye vous invite à (re)découvrir...
07 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Antoine Boissonot sur sa Loire intérieure
L'eau du fleuve parle à celui qui écoute © Antoine Boissonot
Antoine Boissonot sur sa Loire intérieure
Antoine Boissonot embarque sur la Loire à bord d’un canoë pour un voyage photographique introspectif. Se laissant porter sur l’eau...
07 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger