Le comité de rédaction de Fisheye signe un manifeste engagé, publié dans un tout nouveau hors-série, Femme photographes, une sous exposition manifeste, en kiosque actuellement. Un texte important, signé par plus de 1000 personnes, photographes, iconographes, étudiants, galeristes, journalistes… Christine Ollier et Sofia Fisher, membres du comité, étaient au micro de Brigitte Patient pour raconter la conception de ce numéro très spécial.
Elles
occupent plus de la moitié des places en écoles de photo, mais seulement 25 %* de la programmation des grands événements photographiques de France.
Elles représentent moins d’un dixième des photographes des grandes agences**. Et lorsqu’on appelle leurs employeurs pour savoir combien il y a de femmes dans leurs équipes, ils nous demandent, gênés, s’ils peuvent « compter les mortes ».
Elles sont payées 30 %*** de moins que leurs confrères masculins. Et celles qui parviennent à trouver un poste répètent en boucle « qu’elles ont de la chance » d’être là.
Elles déplorent le manque de visibilité de leur travail, alors même que les métiers d’iconographe, de commissaires ou de galeriste se féminisent. Pour être visible, faut-il mieux être femme dénudée devant un objectif masculin qu’être une femme derrière le viseur ?
Elles sont trop souvent, sur le terrain, femmes d’abord et photographes ensuite. Agacées par des confrères, des clients ou des employeurs, qui les prennent pour des faibles, des incompétentes ou des seconds choix.
Elles voient fréquemment, lors de leurs expositions, les gens s’adresser à leurs conjoints masculins plutôt qu’à elles.
Elles sont souvent renvoyées à leur « féminité naturelle » lorsque leurs sujets traitent de l’intime, là où le même travail fait par un homme est considéré comme relevant du domaine de l’art.
Elles sont entourées de photographies représentant des femmes dont les corps sont sexualisés, et elles reçoivent fréquemment des commandes les obligeant à perpétuer cette image.
Elles voient leurs carrières évoluer plus lentement que celles de leurs confrères, car trop souvent ce sont elles qui assument le compromis famille-travail, renonçant ainsi à des résidences ou à des reportages qui les éloignent de leur domicile.
Elles sont, pour certaines, réticentes à signer ce manifeste de peur d’être mal vues par des collègues ou des employeurs.
Dans un pays où le masculin est déclaré neutre et universel, tout regroupement impliquant le féminin est forcément « communautariste » et suspect, quand bien même la « communauté » en question représente la moitié de l’humanité.
Mais ce n’est pas la parité que nous défendons, c’est la production artistique, les artistes. C’est l’égalité dans le traitement, dans les considérations et les opportunités. Et le monde de la photo est bien obligé de reconnaître qu’il est loin, très loin du compte.
Nous souhaitons que, faute de chiffres, plus personne ne puisse dire « je ne savais pas », ou s’abrite derrière un « je ne m’en rendais pas compte », c’est le sens de ce manifeste.
Nous revendiquons une plus grande attention de la part de tous les acteurs et actrices du monde photographique en matière de parité.
Nous revendiquons une plus grande vigilance en matière de sexisme involontaire.
Nous revendiquons un traitement équitable pour les commandes, les prix, les publications et les expositions.
Nous revendiquons l’anonymat lors des jurys et commissions d’achat pour prévenir les discriminations sexistes.
Nous revendiquons une meilleure visibilité auprès des commissaires, des galeristes et des journalistes pour une plus grande reconnaissance.
Nous revendiquons de ne plus qualifier d’exceptionnelles les femmes qui réussissent à s’imposer dans le monde des arts.
Nous revendiquons de ne plus considérer le travail des femmes comme un genre à part et un art mineur.
Nous revendiquons l’ouverture d’une enquête sur la condition des femmes photographes par l’Observatoire des inégalités hommes-femmes, avec l’implication de la nouvelle ministre de la Culture, Madame Françoise Nyssen.
* Pourcentage calculé sur la base des expositions personnelles présentées ces dix dernières années (2006-2016) dans les festivals et institutions suivants : Mois de la photo à Paris, ImageSingulières, Rencontres d’Arles, Circulation(s), Visa pour l’image, musée du Jeu de Paume, MEP, Centre Pompidou, Bal, Maison de la photographie à Lille.
** Magnum Photos et AFP.
*** Selon le Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture, dans une enquête sur le métier de photographe (publiée en 2015).