Dans Yes to All, le duo de photographes Mattia Micheli & Nicolò Panzeri interroge notre lien aux Alpes et souligne l’anthropisation du massif montagneux. Une enquête photographique empreinte de dérision autour d’un territoire longtemps resté sauvage, soumis aujourd’hui à un tourisme de masse. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Savez-vous où se situe le plus haut aéroport ? À Courchevel, à 2 008 mètres d’altitude. En Autriche, à Brixen im Thale, il est désormais possible de se désaltérer au beau milieu d’une piste de ski grâce à des « igloo-bar » (distributeurs automatiques de boissons). Au Passo del Tonale, col des Alpes italiennes, il existe des salles de spectacles construites en glace où de vrais musiciens jouent avec des instruments sculptés dans des glaçons. De passage à Monthey, en Suisse ? Arrêtez-vous au Whitepod et profitez de la vue à couper le souffle depuis un pod de luxe – hébergement insolite en forme de bulle – pour la modique somme de 2 500 francs suisses la nuitée. Une occasion de croiser des touristes venus de Bali qui chaussent leurs plus beaux crampons à moumoute colorée pour rejoindre le logement-concept. « Pourquoi l’euphorie du blanc à tous les âges? Il est une cure de jouvence, une lumière matérielle que l’on peut manger, malaxer, habiter et sur laquelle on glisse », écrit si justement Pascal Bruckner dans son ouvrage Dans l’amitié d’une montagne. Petit traité d’élévation, publié aux éditions Grasset en janvier 2022.
Si l’hiver est la saison la plus rentable pour le tourisme dans les Alpes, l’été affiche son lot d’inepties. Chaque année, dans la Vallée d’Aoste, les habitants et touristes adeptes du folklore célèbrent la Bataille des reines, des combats entre vaches gravides – c’est-à-dire gestantes – afin d’élire la « Reine des cornes ». Début août 2019, la Lombardie a été touchée par d’importantes pluies torrentielles provoquant des glissements de terrain et des inondations. Et le paysage alpin n’est pas près de s’arrêter de changer. Tout le monde sait que le rapport du Giec publié le 28 février 2022 est bien sombre : si la hausse des températures se poursuit, un réchauffement planétaire de 2,7 °C est prévu pour 2100. Mais quid des massifs montagneux ? La fonte du permafrost induit le retrait des glaciers et des éboulements de pans entiers. Les experts annoncent que « la plupart des glaciers en basse altitude et de petites tailles vont perdre une grande partie de leur masse avec un réchauffement de 1,5 °C. Une large majorité d’espèces vivantes endémiques feront face à un risque d’extinction, les régions dépendantes de l’eau des glaciers et de la fonte des neiges pour l’irrigation feront face à une ressource en eau irrégulière et à une insécurité alimentaire accrue. » En cinquante ans, les Alpes ont perdu environ un mois de neige à basse et moyenne altitude. « Quelles que soient les améliorations en termes d’émission de gaz à effet de serre, d’ici 2050, on aura une réduction de l’enneigement à basse et moyenne altitude qui sera comprise entre 10 et 40 % », précise Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques, un des chercheurs impliqués dans une étude publiée par la revue The Cryosphere en 2021. Alors que les saisons de ski sont de plus en plus courtes, on observe une adaptation du tourisme alpin. Quand certains se demandent s’ils verront de la neige cette année, d’autres réfléchissent à comment augmenter les capacités d’accueil et les domaines skiables…
Yes to All, « Oui à tout » en français, le titre de la série des photographes italiens Mattia Micheli et Nicolò Panzeri laisse pointer toute son ironie. Les deux artistes amoureux des grands espaces, tombés dans le 8e art durant l’enfance, se sont ensuite spécialisés à la Fondation Studio Marangoni, à Florence. Ils y ont notamment rencontré le photo-reporter et réalisateur Paolo Woods. « Un grand photographe, attiré par l’adrénaline et les scénarios extrêmes », confient les deux complices. C’est d’ailleurs lors d’une randonnée à ski avec leur mentor dans la vallée de la Thure, en 2018, que tout a commencé pour Mattia. Il découvre un village abandonné : « Seuls un jeune couple et leur fils y vivaient de manière traditionnelle. C’est la première fois que je voyais les Alpes à l’état pur, se souvient-il. Je me suis rapproché de Nicolò qui, depuis son enfance, passait du temps dans les Alpes – dans la région de Lombardie, mais aussi dans le Piémont et le Trentin. Nous ressentions le même besoin d’explorer ce vaste territoire, et nous avons commencé par chercher des endroits dans lesquels les changements relatifs au paysage ou à l’identité culturelle étaient manifestes. » Amorcée en 2018, leur enquête photographique sur l’anthropisation de la chaîne de montagnes les a menés dans plusieurs des pays limitrophes : France, Suisse, Italie, Autriche, Liechtenstein, Slovénie. Les auteurs témoignent des dégâts de la mondialisation effrénée et affichent ce nouveau « look » des Alpes, cette montagne all inclusive.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #57, disponible ici.
© Mattia Micheli & Nicolò Panzeri