Ralph Gibson, photographe et homme de lettres

10 septembre 2020   •  
Écrit par Eric Karsenty
Ralph Gibson, photographe et homme de lettres

En 1970, Ralph Gibson publie The Somnambulist, un livre qui révolutionne l’histoire de la photographie. Cinquante ans après, les 48 épreuves noir et blanc de cet ouvrage se retrouvent sur les murs de la galerie Thierry Bigaignon, du 10 septembre, au 31 octobre, pour dialoguer avec ses nouvelles images en couleurs. Décryptage du plus francophile des photographes américains. Cet abécédaire est à retrouver dans notre dernier numéro.

A comme Abstraction

« Je me demande pour chaque photo si elle se situe dans le cadre du projet que je mène, et si cela exprime mon état particulier, ce qu’il y a en moi. Jusqu’à un certain point, la photographie garde à mon sens un rapport avec la réalité. La réalité est à la photographie ce que la mélodie est à la musique. Je me tiens à la limite de l’abstraction en musique. Et j’ai fait de même en photographie. »

(…) « Je ne désire d’ailleurs jamais faire des photographies abstraites, mais photographier le côté abstrait de toutes choses. »

© Ralph Gibson

B comme Borges (Jorge Luis)

« Aleph est un point dans l’espace où tous les points coïncident. »

Cette phrase, empruntée à la nouvelle L’Aleph (1945) de l’écrivain argentin, est mise en exergue dans The Somnambulist, le premier opus de la trilogie gibsonienne. Interrogé sur le sens de cette citation, le photographe explique : « J’ai pensé que nous pourrions rediriger l’esprit vers un état plus abstrait. » L’Aleph, dans la mythologie borgésienne, est le lieu où se retrouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers vus de tous les angles.

© Ralph Gibson

C comme Chambre noire

Initié très tôt aux techniques de la photographie et au travail en chambre noire, grâce à l’école navale de photographie qu’il intègre à 16 ans, Ralph Gibson acquiert un solide bagage qui lui servira ensuite à affiner le contraste de ses tirages. Il se forme également à la lithographie et à la photogravure, autant d’atouts qui lui seront utiles à l’impression des livres de sa maison d’édition, Lustrum Press, fondée en 1970, pour publier The Somnambulist.

© Ralph Gibson

I comme Introspection

Un jour de 1968, alors qu’il marchait sur la sixième avenue à New York, Ralph Gibson photographie un salon de beauté en feu (ci-dessous), et fond en larmes. Le photographe avait perdu sa mère deux ans auparavant dans l’incendie d’un hôtel, où celle-ci tenait un salon d’esthéticienne. « J’ai su alors en un instant que je pouvais vendre mon âme ou la trouver par la photographie. J’étais à Magnum à l’époque, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de travailler dans le commerce. Je n’allais pas perdre cette clé de l’introspection. J’ai réalisé que la photographie pouvait me montrer des choses sur moi qui étaient uniques », explique l’auteur.

© Ralph Gibson

N comme Nouveau roman

Profondément littéraire, le travail de Ralph Gibson multiplie les références au monde de l’écrit. De la citation de Borges à l’image du stylo qui ouvre The Somnambulist, jusqu’à la photo du livre qui clôt la trilogie, sans oublier les titres d’ouvrage comme Syntax, plus explicites encore, les écrivains figurent parmi les modèles du photographe. Comme pour l’école du Nouveau Roman, il s’agit de défaire le processus narratif – le choix des photos verticales vs horizontales – et de proposer une œuvre ouverte à l’interprétation, dans laquelle le lecteur/spectateur est invité à participer.

© Ralph Gibson

X comme X

Ses photos érotiques le laissaient entrevoir, le X – la pornographie – s’invite également dans l’œuvre de Ralph Gibson, avec notamment sa série Black Kiss, rarement montrée, que les spécialistes évoquent avec gourmandise…

© Ralph Gibson

 

Cet article est à retrouver en intégralité dans Fisheye #42, en kiosque et disponible ici.

 

The Somnambulist 

Du 10 septembre au 31 octobre

Galerie Thierry Bigaignon, 9 rue Charlot, Paris

© Ralph Gibson© Ralph Gibson

© Ralph Gibson

© Ralph Gibson© Ralph Gibson

© Ralph Gibson

© Ralph Gibson

Explorez
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
© Isabel Muñoz
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
Jusqu'au 28 septembre 2025, le festival Portrait(s) accueille une rétrospective d’Isabel Muñoz, grande figure de la photographie...
20 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #547 : Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou
© Madalena Georgatou
Les coups de cœur #547 : Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou
Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou, nos coups de cœur de la semaine, explorent la mémoire. La première s’intéresse aux lieux qui...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
© Mathilde Eudes
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
Jusqu’au 3 août 2025, le parcours Art et Patrimoine en Perche #06 place la création contemporaine au cœur de cette région verdoyante....
13 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Nadya Akane, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Eman Ali compose The Praise of Silence, fruit d’une résidence artistique à Tokyo. La photographe explore, dans un travail collaboratif...
11 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
Entrelacs © Manon Bailo
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye ont été façonnées par des expositions en cours ou à venir, la remise du prix...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
© Caroline Sohie
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
Autrefois carrefour de la traite et du commerce colonial, Bagamoyo, sur la côte tanzanienne, juste en face de Zanzibar, est aujourd’hui...
21 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
© Isabel Muñoz
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
Jusqu'au 28 septembre 2025, le festival Portrait(s) accueille une rétrospective d’Isabel Muñoz, grande figure de la photographie...
20 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994 © Dennis Morris
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
En ce premier jour de l’été, partout en France, la musique est à l’honneur. À cet effet, nous vous avons sélectionné une série de...
20 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine