« Blackwater River » : terres nuancées

01 novembre 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Blackwater River » : terres nuancées

Pour réaliser Blackwater River, le photographe Robbie Lawrence a passé trois semaines à suivre le cours du fleuve Ogeechee, au sud des États-Unis. Un territoire contradictoire, renfermant merveilles naturelles et violences sociétales.

« Je m’intéresse particulièrement à la narration. Je réalise des projets à mi-chemin entre le journalisme et une réaction plus subjective ; une sorte d’exploration du sujet »,

confie Robbie Lawrence. Ce photographe freelance d’origine britannique a d’abord travaillé en tant que journaliste et éditeur photo avant de réaliser ses propres images. « J’étais également peintre. Les grands maîtres flamands ont eu une certaine influence sur ma manière de composer », ajoute-t-il. En privilégiant le numérique, l’artiste construit avec minutie un univers bien particulier, documentant ses sujets avec raffinement. Habitué de la retouche photo, l’auteur a appris à maîtriser les logiciels, érigeant petit à petit des tableaux photographiques à la palette de couleurs sublime.

C’est avec cette approche réfléchie que Robbie Lawrence a capturé le fleuve Ogeechee et ses alentours, de l’état de la Géorgie à celui de la Caroline du Sud, aux États-Unis. Au cours d’un voyage de trois semaines, accompagné de l’écrivaine afro-américaine Sala Patterson, il a saisi les nuances des paysages et des personnes brièvement rencontrées en chemin, jouant avec les dégradés et les niveaux de lecture. Ici, la lumière chaude éclaire la végétation aux allures de natures mortes, comme les visages des habitants de la région. Elle donne à voir la beauté du territoire comme ses inégalités, ses trésors comme sa pauvreté. À travers la poésie de ses clichés, Robbie Lawrence se place en observateur, décelant les nuances complexes d’un territoire mourant, ses forces et ses faiblesses.

© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker

Une série de paradoxes

Car le Low Country, ce territoire que les deux auteurs ont arpenté, est ancré dans une région ayant voté massivement pour Donald Trump. La pollution industrielle, le réchauffement climatique, la gentrification ou encore la hausse des crimes à arme à feu, affaiblissent le fleuve et ses communautés voisines. Une violence encourageant le racisme ambiant et un manque de développement économique. Le charme typique de Savannah, l’une de ces villes du sud, est aujourd’hui effacé par la misère et les inégalités. « Cet endroit est composé de contradictions – une série de paradoxes qui n’ont pas de sens à mes yeux. J’ai donc préféré faire le portrait d’individus, et m’intéresser aux conséquences de ces problèmes sur leur vie », explique Robbie Lawrence.

Au cœur de Blackwater River, il y a des rencontres. Des entretiens bruts et touchants avec des habitants, faisant le point sur leur existence. Comment survivre dans un tel endroit ? Comment a-t-il évolué ? Un espoir existe-t-il ? Les mots de Sala Patterson, entrelacés avec ceux de leurs invités, rencontrés sur place, dressent un portrait aussi tendre que pessimiste de la région. C’est leur dernière entrevue avec un vétéran, ayant combattu au Vietnam, qui frappe particulièrement le photographe. Aujourd’hui isolé près d’un marais, à Savannah, le vieil homme observe son environnement en déclin avec philosophie. « C’était tragique, commente l’auteur. Il offrait une tout autre vision du combattant américain : pas un héros, mais un homme solitaire, vivant sans contact avec le reste du monde. » C’est alors avec une certaine tendresse qu’il dirige son objectif vers le territoire. Un regard soucieux, émerveillé par la splendeur du monde sauvage, et préoccupé par la haine humaine.

 

Blackwater River, Stanley Barker éditions, 35 £, 100 pages

© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker
© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker

© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker

© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker
© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker© Robbie Lawrence, du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker

© Robbie Lawrence, extrait du livre Blackwater River publié par les éditions Stanley Barker

Explorez
Dans l'œil de Gareth Phillips : le pin qui pleurait la Terre
© Gareth Phillips, Pinus Patula, The Mexican Weeping Pine, 2017
Dans l’œil de Gareth Phillips : le pin qui pleurait la Terre
Cette semaine, plongée dans l’œil de Gareth Phillips. L'œuvre du photographe tente notamment de répondre à l’urgence climatique qui hante...
29 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Les images de la semaine du 22.04.24 au 28.04.24 : vertiges paysagers
© Elie Monferier
Les images de la semaine du 22.04.24 au 28.04.24 : vertiges paysagers
C’est l’heure du récap‘ ! Cette semaine, les photographes mis·es en avant par Fisheye réinventent la photographie de paysage.
28 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
© Stefanie Moshammer
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
Les images de Stefanie Moshammer s’inspirent d’expériences personnelles et de phénomènes sociaux, à la recherche d’un équilibre entre...
27 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
© Douglas Mandry, Retardant Panels (2023)
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
La nouvelle exposition du Hangar, à Bruxelles, met en lumière une vingtaine d’artistes qui ont choisi de transformer leurs photographies...
24 avril 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
© Aleksander Varadian Johnsen / Instagram
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram capturent les corps – et même les éléments – qui dansent à en perdre...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
En plus de la douleur et des saignements, ces “spirales“ sont également à l’origine de graves infections qui ont rendu leurs victimes définitivement stériles. © Juliette Pavy
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
À travers son projet sur la campagne de stérilisation forcée au Groenland entre 1966 et 1975, la photographe française Juliette...
29 avril 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
© Guillaume Nedellec
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
Nos coups de cœur de la semaine, Guillaume Nedellec et Simona Pampallona, nous plongent tous·tes deux dans une esthétique en...
29 avril 2024   •  
Dans l'œil de Gareth Phillips : le pin qui pleurait la Terre
© Gareth Phillips, Pinus Patula, The Mexican Weeping Pine, 2017
Dans l’œil de Gareth Phillips : le pin qui pleurait la Terre
Cette semaine, plongée dans l’œil de Gareth Phillips. L'œuvre du photographe tente notamment de répondre à l’urgence climatique qui hante...
29 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill