Julie Hascoët : entre rave et réalité, la jeunesse fait le mur

28 juillet 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Julie Hascoët : entre rave et réalité, la jeunesse fait le mur

Dans Murs de l’Atlantique, Julie Hascoët s’est immiscée dans les free parties qui éclosent entre les blockhaus du littoral breton. Un dialogue entre fêtes spontanées et enceintes fortifiées s’engage alors et interroge la construction d’une identité collective.

« Bande son d’un monde devenu chaos. Un corps hybride, un corps commun, traversant les heures tristes. Un

nous informe et désœuvré, passablement dégommé, composé de je qui s’oublient et s’annulent, massés dans l’illégalité. Refus d’obtempérer : car nos envies de nuit sont des envies de nuire. » En ces quelques phrases, Julie Hascoët dépeint les réflexions nébuleuses d’une génération perdue. Mais sont-ce les pensées rémanentes qui animent une sédition contre la guerre ou l’invasion ? Ou bien les sentiments épars de « teufeurs » qui fuient la monotonie des jours ? Dans Murs de l’Atlantique, la photographe joue justement sur cette ambivalence. La série prend place sur le littoral breton, là où cohabitent blockhaus et fêtes clandestines sur fond de musique techno. Si tout semble les opposer, une question commune émerge. Le long des murs qui esquissent les marges errent des individus en quête de sens et d’identité face à une société qu’ils n’entendent plus.

Des clichés de Julie Hascoët surgit un éloge des contrastes, desquels concourt un besoin d’appartenance. Celui-ci se cultive dans des mouvements de désobéissance condamnés à l’opprobre par les gouvernements. Dans les campagnes désertes ou sur les côtes culminantes s’organisent des soirées hermétiques au monde et ses lois. Les moments de liesse et de dérives prennent alors place dans cette bulle qui refuse paradoxalement l’imprévisibilité des évènements. La jeunesse emmurée s’adonne ainsi à une « opération de guérilla flottant dans le fond d’un verre », et les échos du passé semblent rythmer le présent. La résistance se décline en une variation sur un tout autre thème. Entre les pages, les installations festives s’opposent aux vestiges du mur de l’Atlantique, bâti pendant la Seconde Guerre mondiale par le Troisième Reich. Vaine entreprise, les constructions éphémères tentent de s’ériger contre celles qui surplombent les lieux… Mais n’ont pourtant pu résister à la Victoire des Alliés.

Une communauté spontanée qui refuse l’autorité

« Depuis la vitre du troquet, les vieux du bled commentent : leur allure débraillée, les coupes de cheveux douteuses, les pantalons trop larges. Le style garçon manqué. Les manières qui se perdent. Et le patron de battre en retraite, parce qu’il les a vus grandir ici, ces gosses ; année après année : il faut bien que jeunesse se passe. »

À la fin de l’ouvrage, des textes tentent d’expliquer cette intempérance juvénile. « Chaque samedi soir c’est pareil. On se rejoint sur la place en attendant que l’info tombe. Un SMS circule, qui donne déjà le ton », écrit Julie Hascoët. Les réjouissances saturnales consistent à dresser un mur, « pièce par pièce, caisson après caisson. Méthodiquement. Comme une opération militaire. On installe un campement ». L’objectif de telles soirées ? Fuir à l’unisson vers une quête de sensations.

Là où les ancêtres cherchaient à défendre leur identité nationale, les jeunes veulent se sentir exister dans une communauté spontanée qu’ils ont créée. Loin d’être animée par le même optimisme, elle provoque et déjoue une autorité qu’elle refuse. Motivés par le seul désir d’altérité, irrépressible et sans fondement, ses membres reconnaissent singulièrement cette réalité-là. « On occupe les vides : on assume d’être cette ruine vivace. Un déchet de l’ère industrielle, un encombrant : regardez ce qu’on fait de notre temps », conclut Julie Hascoët.

Murs de l’Atlantique, Éditions Autonomes, 120 p., 30 €.

© Julie Hascoët

© Julie Hascoët

© Julie Hascoët

© Julie Hascoët

© Julie Hascoët

© Julie Hascoët

Explorez
Les images de la semaine du 29.04.24 au 05.04.24 : un 8e art vivant
© Fanny Deniau El Maimouni
Les images de la semaine du 29.04.24 au 05.04.24 : un 8e art vivant
C’est l’heure du récap‘ ! Les photographes de la semaine s’exposent aux quatre coins de la France, mais aussi par-delà ses frontières. ...
05 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
© Yelena Yemchuk
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
En septembre 2022, l’artiste américano-ukrainienne Yelena Yemchuk publie Odessa aux éditions Gost Books. Hommage amoureux à la ville...
03 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
© Diane Meyer
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
03 mai 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Christophe Berlet, la boxe Thaï dans la peau
© Christophe Berlet
Christophe Berlet, la boxe Thaï dans la peau
« Quand j’étais petit, ma mère m’a interdit de faire de la boxe Thaï. Elle disait que dans son pays, c’était pour les mauvais garçons. »...
03 mai 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 29.04.24 au 05.04.24 : un 8e art vivant
© Fanny Deniau El Maimouni
Les images de la semaine du 29.04.24 au 05.04.24 : un 8e art vivant
C’est l’heure du récap‘ ! Les photographes de la semaine s’exposent aux quatre coins de la France, mais aussi par-delà ses frontières. ...
05 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Albert Kahn et ses balades végétales
© Albert Kahn
Albert Kahn et ses balades végétales
Jusqu’au 30 décembre, le musée Albert Kahn présente une exposition de photographies du philanthrope, qui met en lumière sa passion pour...
04 mai 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
© Yelena Yemchuk
Yelena Yemchuk : Odessa, ville enchantée
En septembre 2022, l’artiste américano-ukrainienne Yelena Yemchuk publie Odessa aux éditions Gost Books. Hommage amoureux à la ville...
03 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
© Diane Meyer
Berlin, Robert Frank et portrait flou : dans la photothèque de Diane Meyer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
03 mai 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet