Dans son ouvrage Still Fantasy, publié aux Éditions Disko Bay, le photographe danois Absalon Kirkeby nous raconte une histoire minutieusement éparpillée. Savant mélange d’abstraction et de documentaire, ses images nous dévoilent des natures fantasques qui troublent notre perception du réel.
« Absalon Kirkebyjoue constamment avec le support et la personne qui le perçoit. Il sait que les spectateur·rice·s ont tendance à chercher une histoire. Il construit alors ce récit glissant qui prend de mauvais virages, trébuche et se perd. » C’est en ces quelques phrases que Stinus Duch, éditeur chez Disko Bay, introduit le dernier livre d’Absalon Kirkeby. Installé à Copenhague, diplômé de l’Académie royale danoise des beaux-arts et du Goldsmith College de Londres, l’artiste danois s’amuse des convenances. Dans cet ouvrage, Absalon Kirkeby présente une vue « kaléidoscopique » de moments épars de vies. Fruit d’un travail au long cours, le livre rassemble des fulgurances d’un ordinaire trivial s’aventurant dans les confins de l’inopportun, dans les détails que l’œil distrait a du mal à percevoir. « Mon titre –
Still Fantasy – fait référence à la nature morte en tant que genre et aux règles formelles qui lui sont associées pour construire une image, tandis que la fantaisie fait référence à la partie plus narrative du livre. Les deux mots représentent les glissements qui existent entre les photographies documentaires et les images construites, qui ne sont que partiellement fondées sur la réalité. Ce titre souligne la relation du livre avec la fiction et celles que les images peuvent créer chez les lecteur·rice·s. »
Mêlant clichés bruts, sans postproduction, et images retouchées – parfois à outrance –, l’ouvrage fait l’état d’un réel déroutant d’abstraction. Feignant une chronologie incertaine, les images s’appréhendent en réalité avec une structure bien définie. « Still Fantasy est divisé en sept chapitres et a un début et une fin clairs. Le passage d’un chapitre à l’autre n’est peut-être pas facile à reconnaître, mais il fait partie de mes méthodes de travail », explique-t-il. Vouées à une dislocation évidente, ses natures mortes fantasques résistent pour autant dans les pages qui défilent, mais surtout dans la volonté de comprendre ce qui se déroule sous nos yeux.
© Absalon Kirkeby
Se perdre en chemin
Absalon Kirkeby joue avec nos émotions et tente de multiples contresens. Par ses interventions sur le médium, il déploie toute sa créativité et nous invite subtilement à en faire de même, en convoquant notre imagination. « La photographie est séduisante, car elle peut donner l’illusion de représenter la réalité, mais elle repose en vérité sur la construction d’un monde d’images. L’abstraction est selon moi un espace ouvert où différentes interprétations peuvent entrer en jeu. Elle donne à réfléchir sur la photographie en tant que médium et forme d’art. », ajoute-t-il. Sciemment, l’auteur dévoile une végétation, des lieux, des scènes, des rues, des intérieurs que nous avons peut-être déjà vus ou vécus. Dans tout cela, il ajoute de l’inconstant, un irréel sous-jacent. Au cœur du livre, certaines pages blanches laissent place au vide, créant ainsi une ambivalence avec la présence d’images. « L’absence se traduit comme l’expression d’un processus où l’on prend le temps de s’interroger sur ce que peut être une image d’un point de vue objectif et d’un désir d’étudier son potentiel. »
Plongé·e·s dans des souvenirs qui n’ont certainement pas existé et qui ne nous appartiennent pas, nous nous rappelons aussitôt que cette histoire plurielle, abstraite s’est faufilée dans notre inconscient pour s’envoler au premier soupir. Et s’il nous semble un temps comprendre le cheminement de l’artiste, nous avons finalement perdu sa trace. « En tant que lecteur·rice vous doutez constamment. Et c’est là tout le dessein d’Absalon Kirkeby. Il ne nous montre pas le chemin, mais laisse l’image libre d’être ce que nous voulons qu’elle soit », conclut Stinus Duch.
Still Fantasy, Éditions Disko Bay, 56€, 216 p.
Retrouvez Absalon Kirkeby pour une signature à Polycopies le 12 novembre à 16h.
© Absalon Kirkeby