« 8 » : sur les traces d’une folle nuit

08 août 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
"8" : sur les traces d'une folle nuit
Diplômée de l’ENSP d’Arles en juin 2015, Marguerite Bornhauser a réalisé l’été dernier, lors d’une résidence à Deauville, une étrange série baptisée “8”. Le point de départ de ce travail ? Le récit d’une nuit folle qu’a vécu Françoise Sagan en 1960.

« Je louai au-dessus d’Honfleur une grande maison poussiéreuse et déglinguée, et m’apprêtais à passer le mois de juillet dans des bains de mer, quand je découvris deux états de faits hélas concomitants : à savoir que la mer était toujours au diable, mais, en revanche, le Casino de Deauville toujours ouvert. »

Dans Avec mon meilleur souvenir, paru en 1984, Françoise Sagan relate une anecdote formidable qu’elle situe en 1960. Alors âgée de 25 ans, elle quitte Saint-Tropez et se rend à Deauville avec deux amis, du 8 juillet au 8 août. « Mes journées ensoleillées furent remplacées par des nuits blanches. » Françoise Sagan passe son temps entre les tapis de jeux et cette vieille maison qui jadis avait appartenu au père de Sacha Guitry; le manoir de Breuil.

Lorsque Marguerite Bornhauser nous raconte cette histoire, elle l’évoque elle-même comme un vieux souvenir. Car c’est ce récit qui a inspiré sa série 8, chiffre fétiche de cette nuit incroyable qu’a vécu Sagan.

Extrait de "8", © Marguerite Borhauser
Extrait de “8”, © Marguerite Borhauser / Hans Lucas

La photographe nous explique : « J’étais en résidence de fin d’études dans le cadre du festival Planche(s) Contact de Deauville, organisé par la Fondation Louis Roederer. Je ne connaissais rien de cette ville, à part ce que j’en avais lu dans les livres. » Elle pense notamment à Marguerite Duras ou Marcel Proust. Mais ses recherches la mènent à Sagan, et à ce récit étonnant. Voici comment il se poursuit :

« Le 7 août, veille du jour où je devais rendre la maison et faire un inventaire qui s’avérait compliqué, nous nous rendîmes pour la dernière fois, pensions-nous, dans le gros et blanc Casino […] Vite ruinée au chemin de fer, je me rabattis sur la roulette, et grâce au 8 qui sortit immédiatement et longuement, je me retrouvai (à l’aube) à la tête – c’était en 1960 – de 80000 francs nouveaux. » Lorsque Sagan et ses amis rentrent le 8 au matin, à 8 heures, elle tombe sur le propriétaire qui propose de lui vendre la maison pour… 80000 francs. « Que voulez-vous que je fisse contre tout cela ? »

Entre l’être et le paraître

Presque 60 ans plus tard, Marguerite en tire une série aux images mystérieuses et presque intemporelles. Ses cadrages isolent le sujet et le confine dans son étrangeté : que se cache-t-il derrière le vernis des choses ? Quelle est la frontière entre l’être et la paraître ? Ses questions sont les sujets de prédilection de Marguerite. Un terrain déjà exploité dans sa série Plastic Colors, dont elle a tiré un livre. Tout comme avec 8 : « Je ne fais que de l’auto-édition », précise la jeune femme en feuilletant devant nous son dernier ouvrage.

Marguerite-Bornhauser-8-1Marguerite-Bornhauser-8-2Marguerite-Bornhauser-8-3Marguerite-Bornhauser-8-4Marguerite-Bornhauser-8-5Marguerite-Bornhauser-8-6Marguerite-Bornhauser-8-7Marguerite-Bornhauser-8-8Marguerite-Bornhauser-8-9Marguerite-Bornhauser-8-10Marguerite-Bornhauser-8-11Marguerite-Bornhauser-couv-8

Elle a composé son récit avec une logique minutieuse, « du jour à la nuit. La dernière photo, c’est l’entrée du Casino », dans lequel elle n’a été autorisée à photographier que pendant une heure. Elle nous fait remarquer « que dans chaque photo se trouve le chiffre 8 ». Pour le voir, il faut donc se concentrer sur l’image et faire abstraction du clinquant des couleurs et du sujet photographié. Il y a une confusion dans tout ceci, comme si le temps est suspendu à travers l’image. D’ailleurs, comme le précise la photographe « le chiffre 8 renversé, c’est une boucle infinie. » Un peu comme l’écho de l’histoire de Sagan dont les vibrations se répandent aujourd’hui jusqu’à nous, grâce à Marguerite.

Propos recueillis par Marie Moglia

En (sa)voir plus

→ Découvrez le travail de Marguerite sur son site : margueritebornhauser.com

→ Vous pouvez également la suivre sur Twitter : @Margueritebor

Explorez
Les images de la semaine du 15.07.24 au 21.07.24 : le feu des souvenirs
© Pascal Sgro
Les images de la semaine du 15.07.24 au 21.07.24 : le feu des souvenirs
Cette semaine, les photographes de Fisheye s’intéressent aux différents aspects du feu, et ce, de manière littérale comme figurée.
21 juillet 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi
© Julian Slagman
Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi
Projet au long cours, Looking at My Brother déroule un récit intime faisant éclater la chronologie. Une lettre d’amour visuelle de Julian...
09 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Rafael Medina : corps libres et désirés 
© Rafael Medina
Rafael Medina : corps libres et désirés 
En double exposition, sous les néons des soirées underground, Rafael Medina développe un corpus d'images grisantes, inspirées par les...
27 juin 2024   •  
Écrit par Anaïs Viand
Pierre et Gilles, in-quiétude et Cyclope : dans la photothèque de Nanténé Traoré
© Nanténé Traoré, Late Night Tales, 2024 / Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?
Pierre et Gilles, in-quiétude et Cyclope : dans la photothèque de Nanténé Traoré
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
26 juin 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
© Cait Oppermann
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
Ce vendredi 26 juillet est marqué par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À cette occasion, nous vous...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
© Robin de Puy
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
L'exposition Waters & Meer - Robin de Puy revient sur deux séries de la photographe néerlandaise. Un hommage aux populations rurales...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Costanza Spina