En parallèle de ses articles sur la 55e édition des Rencontres d’Arles, qui se tiendra jusqu’au 29 septembre 2024, la rédaction de Fisheye vous partage ses coups de cœur. Dans le sillage du numéro d’été, ceux-ci s’articulent autour des projets de femmes photographes qui s’approprient le médium dans des approches variées. Sans plus tarder, voici quatre expositions à ne pas manquer !
Voyage au centre : Cristina de Middel
Et si la traversée migratoire du Mexique nous était contée, pour une fois, non comme une fuite, mais comme une expédition héroïque ? Dans cette odyssée de Cristina de Middel, réalisée sur plusieurs années, tout commence à Tapachula, à la frontière sud du Mexique avec le Guatemala, puis se poursuit par la rencontre fatale avec le mur de Donald Trump, pour arriver, enfin, dans une petite ville de Californie désignée comme « Centre du monde ». Passeurs clandestins, cartels, policier·es, mais surtout migrant·es croisent notre déambulation, et nous suivons ces hommes et ces femmes sur les routes interminables, sous la chaleur désertique qui accable les territoires sublimes et menaçants d’Amérique centrale. Exacerbant des stéréotypes, l’artiste façonne des allégories qui rythment un conte terrible, teinté de symbolisme et narré dans une esthétique léchée. La scénographie, pensée avec intelligence, investit la belle église des Frères-Prêcheurs, dont l’architecture gothique ajoute au mysticisme de cet ensemble, illuminé par l’éclat translucide et magique des vitraux.
Milena Ill
Heaven and Hell : Nhu Xuan Hua et Vimala Pons
Dans l’église Saint-Blaise, une étrange voiture, couverte d’une substance poisseuse, trône. Sur les murs, des images-écrans font défiler des figures féminines évoquant les personnages emblématiques d’une culture pop et contemporaine – de Mel C des Spice Girls en passant par Drew Barrymore et Angela Merkel. Derrière l’entrée, un écran diffuse un slow motion hypnotique : Vimala Pons, devenue membre d’un girls band, portant sur ses épaules des meubles au poids apparemment insignifiant. Sublimée par une scénographie fantastique, l’exposition Heaven and Hell place le corps féminin au cœur d’un dialogue introspectif. En émerge une collection de fragments identitaires, venant constituer celles qui grandissent et inspirer leurs « elles » adultes. Emporté·es dans cette transe visuelle hors du temps – l’ambiance sonore parvenant à nous sortir avec brio de l’effervescence des Rencontres – il nous faut alors ressentir plutôt que comprendre : cette représentation complexe de la quête d’identité et de sa perpétuelle construction.
Lou Tsatsas
Finir en beauté : Sophie Calle
Sophie Calle a le sens de la présentation. Pour découvrir sa dernière exposition en date, nous devons nous rendre dans les profondeurs des cryptoportiques d’Arles. Avant d’y accéder, en haut des escaliers, une note manuscrite, signée de sa main et inscrite sur le texte d’introduction, met en garde celles et ceux qui auraient la fâcheuse idée de subtiliser l’une de ses œuvres : celles-ci sont hautement contagieuses. De fait, quelque temps avant de présenter À toi de faire, ma mignonne au musée Picasso, à Paris, un orage a endommagé l’une des séries qui devaient être montrées, à savoir celle des Aveugles. Des spores de moisissure se sont infiltrées, la condamnant dès lors à la destruction. Finir en beauté, qui ne pouvait être mieux nommée, s’impose comme un tombeau de choix. En ces lieux chargés d’histoire, humides et propices à la prolifération des champignons, ces figures si chères à l’artiste retrouvent l’obscurité qui les caractérise. Les portraits font face à leur témoignage et à d’autres photographies les illustrant, le tout installé à même le sol. Vouées à évoluer au fil du temps, les images prennent ainsi la forme d’un singulier memento mori d’autant plus percutant.
Apolline Coëffet
Quelle joie de vous voir : Tawada Yuki
Pour l’exposition organisée par Aperture, Quelle joie de vous voir, les photographes japonaises ont investi les murs du palais de l’Archevêché. Les générations s’imbriquent, les couleurs côtoient le noir et blanc, les grands noms dialoguent avec les plus émergents, le documentaire et la poésie se partagent le lieu. Dans la salle du fond, sur une cimaise rose pâle, la couleur des sakura, danse l’œuvre de Tawada Yuki. La photographe sculpte, érafle, ou enflamme ses images. Cette approche physique du médium est une façon d’envisager la spiritualité et le soin. L’écume brûlée d’une photographie de vague se devine grâce au jeu de transparence et les fleurs de cerisier blanchissent au fur et à mesure de l’expérimentation. La surface plane de l’image entre en mutation, la magie opère et la sculpture naît. Ce plongeon immersif dans la matérialité de l’épreuve photographique nous invite à questionner la photographie telle que nous la connaissons aujourd’hui, un produit de consommation de masse, et peut-être à la réenchanter.