Nichées au cœur du merveilleux château de Chaumont-sur-Loire, Effets de soir et Pointillisme, créations digitales inédites du plasticien italien Quayola, s’imposent comme des invitations à la contemplation. Vous avez jusqu’à décembre 2022 pour les découvrir !
Une nouvelle page de l’histoire artistique du Domaine de Chaumont-sur-Loire s’écrit sur la création numérique. Dans la continuité de ses évènements artistiques, le centre d’Art et de Nature inaugurait le 5 mars dernier, après un chantier de restauration dans l’aile est du château − jusqu’alors fermée au public − un espace de plus de six mètres de haut dédié à l’art numérique et immersif. Pour cette inauguration, Chantal Colleu-Dumond, maîtresse des lieux et commissaire des expositions, nous a, de son enthousiasme et sa passion communicative, convié·e·s à découvrir cet espace investi par le vibrant Quayola, plasticien bien aimé du domaine.
Pour cette commande spéciale, financée par la région Centre-Val de Loire, Quayola a composé une création inédite à renommée mondiale. Dans cet écrin rénové, où résident les vestiges du passé, l’artiste italien présente Effets de soir, en parallèle d’une création plus ancienne nommée Pointillisme. En fidèle admirateur de Chaumont-sur-Loire, il s’est inspiré de ses espaces verts afin de créer son jardin numérique, totalement génératif. Véritable voyage vers des horizons chatoyants, où les fleurs s’abandonnent dans l’espace et le temps, son projet est une virée au cœur d’une nature illusoire, éternellement recomposée. Au sein de cette galerie digitale − en référence à la digitale, fleur des montagnes −, Quayola fait naître un printemps aux lueurs tendres et apaisantes.
Entre tradition et futurisme
« Ce qui m’intéresse à Chaumont-sur-Loire, c’est l’alliance entre le patrimoine et la création contemporaine. Je crois qu’il faut toujours se situer dans un temps long : dans le passé de la renaissance, mais également dans le présent et vers le futur. C’est une évidence, la création numérique est un art du 21ème siècle. Nous avons la chance aujourd’hui que cet art soit aux mains d’artistes comme Quayola. Puisque de sa grande maîtrise de la culture classique, il fait évoluer sa pratique en permanence, pour arriver à un résultat extraordinaire »,
confie Chantal Colleu-Dumond. En effet, pour ce projet au long cours, entamé en 2018, le plasticien témoigne une fois de plus de toute sa capacité à faire dialoguer des fondamentaux de l’art avec la technologie actuelle. Une création qui s’inscrit dans une réflexion globale autour de notre culture visuelle, de notre patrimoine artistique et sur la tradition d’observer la nature.
Avec Effets de soir, l’artiste digital rend hommage aux avant-gardes en perpétuant une manière de percevoir le paysage. « Effets de soir, se rapporte à cette heure spécifique de la journée, aux lumières singulières, durant laquelle les impressionnistes peignaient la nature en s’imprégnant de ses couleurs », explique-t-il. Quand Édouard Manet disait à juste titre « Je peins ce que je vois, et non ce qu’il plaît aux autres de voir », Quayola tente également de poser un regard innovant sur son environnement, en souhaitant constamment aller au-delà des apparences réalistes. Si les peintres utilisaient la toile et le pinceau, Quayola, lui, s’aide d’un logiciel inventé par ses soins pour reproduire des graphismes numériques. C’est ainsi qu’à la nuit tombée, l’artiste a capturé des fleurs peuplant les hectares du domaine, afin de concevoir une banque d’images. À partir de cette dernière, il a alors recréé d’autres images en mouvement continu, avec lesquelles il a interagi.
L’art de l’accident contrôlé
Derrière cette création poétique, pure et presque magique, réside en réalité un système complexe de données, avec une charte spécifique. Tous ces mouvements, ces dynamiques donnent la sensation d’un ensemble organique, naturel. Seulement, tout y est programmé. Le son comme l’image sont construits par le logiciel. « Ce que vous voyez est piloté par des fonctions mathématiques qui interagissent. Ce sont des paramètres que je contrôle en live qui font évoluer l’image. C’est une performance réalisée à un moment donné que j’ai sauvegardée », explique Quayola.
Ici, rien n’est coïncidence, tout est maîtrisé. Car pour qu’il y ait du hasard il est nécessaire que celui-ci soit programmé. « Prenez par exemple Pollock et ses jets de peintures sur toile. Sa performance se joue du hasard, mais à côté de cela c’est un acte tout à fait régulé. C’est une sorte d’accident contrôlé », ajoute-t-il. Plus qu’un outil, son logiciel devient un véritable « collaborateur » dans son processus artistique.
Lorsque la vie se déploie devant nous
Telle une prose du temps qui passe et des saisons qui coulent sur la nature, l’œuvre se construit en notre présence, sous nos yeux ébahis. Inscrite dans l’héritage des impressionnistes, sa performance nous dévoile une application instinctive des motifs et des couleurs. Il y a, dans les temps de pause, sans bruit, l’idée d’une peinture en train de se faire. Et dans cet acte performatif, une attention particulière est portée sur la beauté de l’imperfection. Car ce qui attire Quayola, ce sont les « erreurs » qui se logent dans l’essence même des choses. « J’aime les erreurs que fait le logiciel, les expériences qu’il réalise. Ce qui m’importe, c’est de voir toutes les possibilités qu’il détient afin de recréer le paysage. Car il est impossible de reproduire la complexité de la nature, c’est pourquoi je souhaite représenter l’expressivité pure du geste », affirme-t-il. Un geste défini par une logique lui permettant de donner vie aux apparences.
C’est immergé·e·s dans le noir que les couleurs nous apparaissent, se mélangent, se dispersent en rythme, sur une musique au tempo tragique. Traversant les quatre écrans de la galerie digitale, les fleurs s’engagent dans une valse à contretemps. Elles éclosent et se fanent dans un même élan. Le tableau numérique divague et nous emporte vers une histoire symbolique. Poésie lyrique, l’œuvre de Quayola donne le sentiment d’un éternel recommencement. « Le visiteur peut rester autant de temps qu’il le souhaite. C’est une vidéo, mais il n’y a pas véritablement de début ou de fin. Je ne dis jamais combien de temps cela dure, car je pense que cela importe peu. Les compositions se suivent l’une après l’autre. Parfois un seul fragment suffit pour rentrer dans mon univers », précise-t-il. Lorsque l’on choisit de quitter la pièce et la vidéo, une sensation de calme nous irradie, comme après une séance de méditation en pleine conscience. Dans le sas qui sépare les escaliers et la galerie digitale, Chantal Colleu-Dumond nous partage avec humour ces quelques mots « Mes fleurs ont été mal menées ». Mal menées certes, mais par des vents oniriques et emmenées vers des champs éternellement fertiles.
© Quayola