À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail, ses images évoquent les feux qui ravagent fréquemment l’Australie, sans jamais les montrer, et interrogent l’histoire du pays.
« Les projets sur l’environnement sont absolument nécessaires à l’heure actuelle et il est essentiel que le public puisse s’y impliquer sur le plan émotionnel. C’est ce qui favorisera, je l’espère, le changement social », déclare Aletheia Casey. Aujourd’hui installée en Angleterre, où elle supervise le master en photojournalisme du London College of Communication, l’artiste garde en mémoire les feux qui ravagent régulièrement son Australie natale. A Lost Place, une série au nom évocateur, matérialise les souvenirs qui la hantent et s’apparente, dans son processus, à une forme de méditation. « Ce travail est particulièrement personnel et instinctif, car je l’ai commencé pour calmer mon anxiété lorsque les feux de 2019-2020 brûlaient tout près de la maison de mes parents, à Callala Bay, en Nouvelle-Galles du Sud. Je suivais les actualités depuis le froid et la grisaille de Londres, terrifiée par l’issue inévitable de cette tragédie, explique-t-elle. Quelques années auparavant, les flammes m’avaient prise au piège dans la région de la Hunter Valley. Je me souviens encore du bruit et de la chaleur intense, de part et d’autre de la route, alors que je traversais ce qui était devenu un gigantesque brasier incontrôlable. Pendant que je réalisais cette œuvre, les réminiscences résonnaient dans mon esprit. »
Catastrophe écologique et héritage colonial
À l’image, des paysages se découvrent dans des teintes tantôt vives, tantôt sombres. Les animaux apparaissent en négatif, livides, quand les arbres, en contraste, se présentent telles des ombres noires. La trace des flammes et d’une cendre d’un ocre rouge les recouvre. « J’ai pris les tirages que j’avais réalisés lors de mon dernier séjour en Australie et, imaginant les cris des oiseaux indigènes qui périssaient, j’ai apposé des encres et des peintures rouges et orange. Sur d’autres, j’ai gratté la surface pour révéler la fragilité du papier sous-jacent », indique-t-elle. S’il traduit à la fois la peur et la violence du feu qui emporte tout sur son passage sans jamais le montrer, ce choix de nuances n’est pas le seul pour lequel a opté l’artiste. Dans d’autres compositions, le turquoise, associé à des éléments épars, insuffle un vent d’onirisme. « J’avais collecté des ailes de cigales échouées sur la plage lors de mon dernier voyage sur place et, plutôt que de les photographier, j’en ai fait des photogrammes. Pour ce faire, je les ai pressées entre deux feuilles de verre que j’ai exposées sur du papier sensible à la lumière. Là encore, j’ai gratté la surface de l’impression, puis j’ai gravé les motifs complexes des ailes », ajoute-t-elle en guise d’exemple. L’abstraction se dessine et achève ainsi de susciter la curiosité.
Sans contexte, la vision de ce territoire altéré interroge. Il attire le regard et marque les esprits. Une certaine beauté s’en dégage. Pourtant, le drame se devine tandis que la présence de petits mammifères dans des bocaux rend la situation encore plus inquiétante. Les émotions se confondent alors et nous poussent à appréhender la réalité autrement. « Il s’agit de spécimens conservés dans les archives de musées zoologiques au Royaume-Uni, soit d’animaux indigènes, soit d’espèces introduites qui ont causé des dommages incommensurables au paysage australien. J’ai pris ces images plus récemment », précise Aletheia Casey. Par l’entremise de dytiques, elle suggère finalement un lien entre les catastrophes écologiques et l’histoire de son pays d’origine. « Cette série vise à mettre en évidence notre approche scientifique et rationaliste de la nature qui se caractérise par la recherche incessante du contrôle et de la domination. J’invite ici le public à se confronter à l’héritage durable du colonialisme et à son rôle dans l’exacerbation des défis environnementaux auxquels l’Australie fait face aujourd’hui », affirme notre interlocutrice.