Entre lumière suspendue et tendre mélancolie, Louise Desnos dévoile Acedia, un projet photographique au long cours, sensible et contemplatif. Une exploration visuelle sur la paresse, la fatigue et l’intime, publiée chez Witty Books.
Diplômée des Arts Décos de Paris et membre de l’agence Vu’ depuis 2022, Louise Desnos publie son premier livre, Acedia, après plus de dix ans de maturation. « C’est une série sur la paresse, il fallait donc un temps long pour la sortir », plaisante l’artiste. Le mot « acédie », emprunté au vocabulaire chrétien, désigne un état de lassitude, de vide intérieur mêlé de culpabilité. « C’est un mot que j’ai longtemps cherché, et lorsque je l’ai trouvé, il est venu nommer quelque chose qui me taraudait depuis un moment », confie-t-elle. Acedia ne documente pas la paresse, mais explore un état intérieur en se nourrissant d’inspirations littéraires, cinématographiques, musicales et picturales, de Fiodor Dostoïevski à Ingmar Bergman en passant par Virginia Woolf et Judith Joy Ross. « L’entrée dans la vie adulte m’effrayait. Cette période a fait émerger des questions relatives à la paresse qui devenait alors un refuge. Puis j’ai lu Oblomov d’Ivan Gontcharov où il est question d’un paresseux et de sa posture au quotidien. En tant que lectrice, je me suis demandé si ce personnage renonçait à la vie ou s’il atteignait l’ultime sagesse dans l’immobilité », raconte Louise Desnos. Dans Acedia, si certains moments sont saisis dans le vif du quotidien, d’autres sont mis en scène, mais tous baignent dans une atmosphère suspendue. Au fil des pages, l’impalpable se dévoile en images. Pour la photographe, naviguer entre le réel et l’imaginaire, sans frontière établie, était primordial dans son travail. « Pour un sujet aussi universel, je ne peux prétendre qu’à partager ma subjectivité », déclare-t-elle.
Une œuvre à contretemps
Louise Desnos compose un langage visuel où chaque image flotte hors du temps. Acedia déroule ainsi un récit qui ne semble avoir ni début ni fin, mais qui interpelle et nous invite à magnifier la lenteur qui peut nous envahir au quotidien. Une clémentine desséchée, des dents chevauchées ou encore des visages endormis, c’est par l’attention portée aux détails que s’exprime le regard puissant de l’artiste. « J’aime les photos avec une part d’intime, d’étrange, de tendre, et parfois un peu d’humour ou de second degré », confie-t-elle. Le médium devient ici un geste introspectif où un sentiment souvent associé à la honte se voit, cette fois, sublimé. Le noir et blanc permet de suspendre les scènes, de leur donner une dimension intemporelle. « Les couleurs, lorsqu’elles sont délavées, évoquent souvent une forme de mélancolie alors que les images plus saturées appellent à la joie. Et pour moi, l’acédie, c’est aussi cette dichotomie : une forme de tristesse, d’immobilité, mais aussi une joie de trouver de la liberté dans le temps libre, de rêver », déclare la photographe. Commencée durant ses études, cette série a grandi avec l’artiste, jusqu’à sa clôture récente. Acedia est une œuvre qui prend son temps, dans tous les sens du terme. « La prophétie du « I started something I couldn’t finish » me pendait au nez », rigole-t-elle. Louise Desnos oppose ainsi aux injonctions de vitesse et de productivité une esthétique de la lenteur. À force d’images produites par éclats, de pauses et de reprises, Acedia est devenu un objet rare, comme un rêve dont on se souviendrait au réveil : flou, familier, et inexplicablement touchant.
112 pages
37 €