Avec sa série Memories of Dust, le photographe franco-texan Alex Bex ébranle les codes de la masculinité dans les ranchs de cowboys au Texas. Empruntant les couleurs et l’esthétisme des westerns, il les rassemble et dévoile les émotions qui se cachent derrière leurs traditions aux connotations viriles.
La poussière s’élève après le passage des chevaux. Au loin, une silhouette reconnaissable parmi cent : celle du cowboy muni d’un chapeau, d’une chemise et des santiags à éperons. C’est sur les ranchs du Texas et leurs occupants qu’Alex Bex a posé son regard. Il y réalise sa série Memories of Dust, qui remporte la 3e place de la catégorie « Projets documentaires » du concours Professional des Sony World Photography Awards 2025. Né d’une mère texane et d’un père français, le photographe passe son enfance à Austin, avant de vivre ses années d’adolescent en France, près de Toulouse. « En grandissant, je rejetais un petit peu mon identité française, j’avais l’impression qu’on m’avait un peu enlevé ma culture états-unienne. Alors ce projet, c’est ma manière à moi de me la réapproprier, et de la comprendre », confie l’auteur.
Baigné par les westerns et la représentation des héros à l’américaine, Alex Bex s’interroge sur le poids des médias visuels dans la construction des rôles masculins : « J’ai voulu remettre en question cette influence. » Défaire le mythe du cowboy inébranlable, cet homme sans émotion qui monte à cheval et brandit ses revolvers à la vue de l’ennemi. Ou du moins révéler ce qui se dissimule sous sa carapace en cuir. Prenant pour inspiration le film The Rider de Chloé Zhao, dépeignant à l’écran un cowboy pleurant son ami hospitalisé à la suite d’un rodéo, le photographe part à la rencontre des éleveurs américains et s’immisce dans leur monde. Les ranchs qui parsèment le Texas deviennent son terrain de recherche visuel et de fil en aiguille, il se retrouve dans l’intimité de ces protagonistes qui vivent au rythme des compétitions de rodéo. « J’ai envie de pouvoir montrer quelque chose de nouveau dans le stéréotype traditionnel de l’homme comme on le connaît », soutient-il.
Sous les chapeaux des cowboys
Une douce chaleur émane des images d’Alex Bex. Merrick, un adolescent de 15 ans qui s’occupe d’un bébé écureuil, arbore une chemise en jean brodée des lettres « Texas High School Rodeo Association ». Un père regarde tendrement son fils lors d’une messe dans un ranch. Ces scènes délicates et honnêtes contrastent avec l’idée violente que l’on se fait du rodéo et des cowboys. « Il y a beaucoup de moments très stéréotypiques de la masculinité, précise l’artiste. On ne pose pas de questions, quand on se serre la main, on s’écrase la main. Mais après avoir passé quelques jours avec eux, ils s’ouvrent à moi et me racontent des histoires assez personnelles. » S’investir activement dans la vie dans les ranchs permet au photographe de saisir des instants de confidence, de capter des émotions pures qui ont tendance à se tapir sous les chapeaux de ces éleveurs. « J’ai rencontré un père qui m’a dit à quel point il aimait son fils avec qui il participe à des rodéos. Et lui dire les mots “je t’aime” était d’une importance capitale », se souvient Alex Bex. Il décèle des masculinités multiples, propres à chacun, de discussion en discussion, qui sont peut-être bien éloignées de nos définitions européennes.
Sortir de la vision binaire de la masculinité
Qu’est-ce qu’un homme, un vrai, finalement ? Est-ce que le cowboy moderne l’incarne ? « La masculinité traditionnelle, ce n’est ni blanc ni noir », assure Alex Bex. Dans Memories of Dust, il confronte la masculinité façonnée par les médias et les interactions qui existent entre les hommes et qui sont pour la plupart occultées. « De petits moments d’émotions », comme il aime les nommer, se déclinent dans une esthétique presque romantique du western, mais sans jamais tomber dans le cliché. Au contraire, le récit qu’il propose met aussi en lumière le problème de la (sur)performance de la masculinité, ancrée dans la société patriarcale et qui affecte autant l’entourage que les hommes eux-mêmes. « Un éleveur, qui est aussi juge, m’a confié la perte de son meilleur ami qu’il connaissait depuis quarante ans. Ce dernier s’est suicidé. Il avait un cancer et a préféré s’ôter la vie plutôt que de devenir un poids pour sa famille, ne pouvant plus vaquer à ses tâches quotidiennes comme la tenue de la ferme, la chasse, les rodéos. En d’autres termes, il n’allait plus pouvoir être l’homme qu’il était censé être », narre l’auteur. Alex Bex continue de se rendre au Texas et d’alimenter d’images et de rencontres Memories of Dust. Il projette à l’avenir de publier un livre qui, peut-être, donnera des clés de compréhension sur les notions de masculinités traditionnelles aux États-Unis à l’ère de la modernité.