
Exposée à la galerie Madé, dans le cadre de PhotoSaintGermain, jusqu’au 30 novembre 2025, la série NATURE d’Alexandre Silberman transforme le parc de La Courneuve en un espace à la fois réel et rêvé. Derrière cette utopie végétale, l’auteur révèle les traces d’un passé populaire et migratoire, toujours présent dans le paysage.
C’est il y a près de deux ans qu’Alexandre Silberman est tombé en fascination pour le parc Georges-Valbon, à La Courneuve. « Il y a une vraie beauté, une amplitude et une esthétique très particulière qui intègre des éléments brutalistes à un dessin paysager parfois très romantique, confie-t-il. Il y a une joie commune, comme une respiration au milieu d’un territoire ultra-urbanisé, très sec et bétonné. » Peu de visiteur·euses savent pourtant qu’il s’agit d’un parc artificiel – « d’où l’ironie du titre NATURE », note-t-il – et encore moins qu’il a été construit sur un ancien bidonville, où vécurent des familles venues d’Andalousie, d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord ou du Portugal. Aujourd’hui, ces familles ont été déplacées aux abords du parc, sans pour autant cesser de le traverser.
Mémoire migratoire
« C’est un lieu d’une grande diversité, traversé par une véritable paix, décrit le photographe et réalisateur. Chacun·e y trouve une zone de confort, dans lequel il ou elle peut s’exprimer et dont il ou elle peut jouir. Certain·es viennent se reposer, d’autres fêter, prier – notamment la beauté de cette nature… » Dans les allées de ce parc artificiel qui est l’un des plus grands d’Europe, Alexandre Silberman croise des femmes turques cueillant des herbes sauvages, des hommes indiens et pakistanais jouant au cricket, des musicien·nes maghrébin·es ou encore des Afghan·es cherchant la hauteur des collines. « La question migratoire est toujours très active au sein du parc, elle représente plus qu’une mémoire », affirme-t-il. Il se souvient aussi de Zar Mohammad, un jeune Afghan qu’il avait photographié au belvédère en 2019, qui, quelques mois plus tard, a été tué par la police, en plein confinement. « C’est aussi la réalité du parc : elle a beau avoir été enfouie, recouverte, elle rejaillit », poursuit-il.



Mondes intérieurs
Dans le texte qui accompagne le livre NATURE, paru en autoédition en 2024, Alexandre Silberman compare le parc à un monde où chacun invente son propre conte, en écho à une phrase de Louis Aragon. « Le lieu est vu ici comme un lieu partagé où s’expriment les rêves personnels », explique-t-il. Mais derrière ce lien collectif se dessine aussi le rêve de l’auteur : celui d’un monde parallèle comme monde individuel. « La collectivité, pour moi, est là pour préserver l’expression individuelle et non pour l’écraser », confie-t-il. La série devient ainsi une fable : « Le parc est une interface, une porte d’entrée végétale vers les rêves intérieurs. Par là même, il devient un monde onirique où se rencontrent une somme de songes individuels », détaille-t-il. Les images, construites comme des paraboles, associent une lumière mystique avec de nombreux symboles, tels qu’une madone portant un casque sur les oreilles, des angelots, une mariée et un cygne, qui se répondent dans un même récit métaphorique.
À PhotoSaintGermain, NATURE prendra forme dans une scénographie conçue par l’architecte Luisa Silva, compagne du photographe. Les tirages seront disposés sur des totems en enduit minéral, de manière à évoquer la forêt de béton qui entoure celle, végétale, du parc. Ce dispositif, en écho à la dimension spirituelle de la série, compose une suite d’icônes et renvoie à la discrète morale derrière le projet : la nature ne peut pas effacer les fractures du monde, mais elle peut adoucir la vie des habitant·es. Et un espace partagé peut, encore, ouvrir une voie vers des rêves communs.




