Autrefois dominé par les magazines et les photographes, le secteur de la mode s’est transformé sous l’impulsion des réseaux sociaux et de ses acteur·ices. Désormais, Instagram remplace le book, TikTok impose ses tendances et les algorithmes dictent les esthétiques. Entre désacralisation et nouveaux codes, la photo de mode interroge la mutation de nos rapports à l’image.
« Aujourd’hui, quand vous assistez à un défilé, il y a plus de smartphones en l’air que de mannequins qui défilent. En 1975-1980, nous étions plusieurs dizaines de photographes ; à ce jour, on en compte à peine cinq ou six. Nous faisions notre mise au point manuellement, et nous choisissions notre diaphragme en fonction de la lumière. Il fallait du talent, c’était un vrai métier. On se retrouvait le soir au sein de la rédaction, on avait des échanges francs quant aux images à publier. Les créateur·ices et leurs maisons avaient une véritable identité. » C’est avec une certaine nostalgie que Guy Marineau, l’un des premiers photographes spécialisés dans les défilés, 78 ans aujourd’hui, se remémore « la belle époque » de la photographie de mode et de défilés. Un temps où les front rows [premiers rangs, ndlr] n’étaient pas encore investis par des égéries, influenceur·euses et autres talents hyper-connecté·es, et où les créateur·ices de mode ne pensaient pas au rendu sur écran. Dans notre époque piquée d’instantanéité, les codes et les tendances ne cessent d’évoluer au rythme des algorithmes, impactant la manière dont images de modes sont créées, diffusées et consommées. « Dans une certaine mesure, Instagram a aboli la barrière entre manuellement, luxe et grand public. Non seulement les marques de luxe investissent massivement dans les campagnes Instagram, mais même les consommateurs “ordinaires”, via des posts ou des stories, donnent l’impression d’appartenir à cet univers. La mode est un spectacle que chacun peut consommer visuellement à travers son écran », explique Sophie Abriat, journaliste et autrice de l’ouvrage Danser sur le volcan. La mode et le luxe à la conquête de nos imaginaires (Grasset, 2025). « Ces dernières années, nous avons assisté à un phénomène de “déhiérarchisation” et de désacralisation des marques, challengées par cette nouvelle génération. Les réseaux sociaux ont rendu possible la proximité avec des marques autrefois très statutaires, quasi intouchables. Elle [la mode] s’inspirait autrefois de la rue, désormais, les marques amplifient ce qui se joue déjà sur les réseaux sociaux, et les influenceurs sont les nouveaux médiateurs du désir. »
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Instagram, le nouveau look
« Il y a quelques années, on ne mélangeait pas journalistes mode et influenceur·euses lors des voyages de presse, des dîners et des défilés. Maintenant, oui », lancent Kevin Bonneaud et Gemma Ceyda Saracoglu, fondateurs de Wake Talents, l’une des trente agences parisiennes spécialisées dans l’accompagnement de talents et le développement de leur image. Leur mission principale ? Assurer le lien entre des personnalités et des marques, et proposer à ces dernières des « stratégies de communication adaptées à leurs besoins » moins old school. « Chez [nous], le talent a toujours le dernier mot. Nous sommes là pour le conseiller et le protéger, et nous veillons à respecter son ADN. Nous privilégions le qualitatif au quantitatif », complète Marie-Caroline Koralewski, elle aussi à la tête d’une agence, Katch Agency. Fondatrice d’une agence de mannequins qui va fêter ses dix ans, elle complète son activité en se rapprochant de talents spécialisé·es dans la mode et la beauté. « Katch Agency a été créée il y a deux ans pour répondre à l’évolution du marché. Instagram a remplacé le book. J’ai l’impression qu’il y a presque plus d’argent dans le secteur de la création de contenu que dans celui du mannequinat », ajoute celle qui accompagne la célèbre mannequin Lena Simonne depuis ses débuts. Cette dernière nous a confirmé avoir assisté à la progression des réseaux sociaux dans la profession en à peine dix ans. « Aujourd’hui, les shootings pour les campagnes sont souvent complétés par une création de contenu à destination du social media : des trends, ou bien des transitions de tenues. Les marques restent encore focalisées sur les campagnes, mais ce n’est pas cela qui fonctionne sur les réseaux sociaux, et elles ne maîtrisent pas toujours les codes du digital », précise celle qui est devenue influenceuse par effet de ricochet. « Je suis plutôt réservée. Ma présence sur les réseaux s’explique parce que je partage la vie d’une célébrité [le rappeur Roméo Elvis, ndlr] depuis les débuts d’Instagram. Ces dernières années, j’ai pu doubler mes prix du fait de ma casquette d’influenceuse. Tout dépend de l’influence du créateur ou de la créatrice de contenus, et de la notoriété du ou de la photographe, mais les premier·ères peuvent être rémunéré·es cinq à dix fois plus que les second·es », précise celle qui rassemble plus de 250 000 followers sur Instagram. Désormais maman, elle a choisi de revenir à son premier amour : le 8e art. « J’ai envie de proposer un contenu lifestyle, girl next door. Je préfère l’authenticité et l’atypique aux poses habituelles. Je sais ce qui peut être malaisant et stressant, et ce qui peut être beau. » Elle a témoigné de ses talents de photographe à l’occasion d’un défilé Étam en octobre dernier, y documentant les backstages avec son boîtier argentique. Un second chapitre professionnel qui s’annonce prometteur.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #70.