Jusqu’au 6 janvier 2025, la Galerie de photographies du Centre Pompidou accueille le travail de Barbara Crane, photographe américaine de renommée internationale, dont la carrière prolifique révèle une passion certaine pour l’expérimentation – à l’épreuve des années.
Des lignes minimalistes dessinant des corps, des visages encadrés de néons, des négatifs réagencés en puzzles graphiques et répétés dans une variation géométrique aux frontières de l’abstrait… Sur les cimaises de la Galerie de photographies du Centre Pompidou, l’œuvre de Barbara Crane ne peut que susciter la curiosité des visiteur·ses. Sobrement exposées, les images s’articulent en thématiques, soulignant l’aisance avec laquelle la photographe américaine évolue d’une écriture à une autre, d’une représentation classique à d’étonnantes expérimentations.
Jusqu’au 6 janvier 2025, le musée accueille la première monographie européenne d’envergure dédiée à Barbara Crane. Réunissant plus de 200 œuvres, l’événement se consacre aux 25 premières années d’une carrière longue de plus de soixante ans, montrant des images emblématiques comme inédites de la création foisonnante de l’artiste. Épreuves gélatino-argentiques, tirages instantanés, Polaroid, transferts, montages… Au détour d’un mur, les représentations s’affranchissent du réel et les expériences cultivent notre intérêt. Formée à l’histoire de l’art et la photographie au Mills College, en Californie, et à la New York University, Barbara Crane a ensuite poursuivi sa formation auprès d’Aaron Siskind à l’Institute of Design de Chicago, avant d’y enseigner, de 1967 à 1995. C’est d’ailleurs au cœur de cette métropole qu’elle trouvera l’inspiration, dédiant de nombreuses séries à son architecture, ses habitant·es, son effervescence.
Chicago, terrain d’expérimentation
Car, dans cet espace urbain, Barbara Crane imagine une contre-photographie de rue, s’inspire des tendances culturelles qui traversent les décennies. Au 35 mm, elle entame un vaste inventaire des entrées et sorties du Musée des sciences et de l’industrie, partant d’un systématisme strict pour décliner les singularités des passant·es (People of the North Portal). À la plage et dans les parcs de la ville, pourtant, cette rigidité s’efface au profit de compositions inattendues (Beaches and Parks). Dans un monochrome pourtant estival, elle fige des corps bronzés, dansant, les cadrant à hauteur de bassin, comme une ode à la liberté convoquant le mouvement hippie.
Mais Chicago s’impose également comme le berceau de nombreuses expérimentations. Dans Whole Roll, la photographe retravaille l’intégralité d’une pellicule, déconstruisant le réel pour former un récit visuel dénué de sens. Sur les mosaïques qu’elle crée, les silhouettes se répondent, privées de toute notion de gravité, figures sombres contrastant avec le gris du ciel. Avec Baxter Labs – une commande institutionnelle lui permettant de nourrir ses recherches – l’autrice développe son attrait pour les formes graphiques en composant des tableaux insolites au négatif, comme des jeux optiques venant sublimer la notion de répétition. Neon Series, projet mis au point en exposant à deux reprises le même film dans un appareil, calque, quant à lui, des enseignes lumineuses sur des portraits rapprochés, marbrant les visages de flashs et traits de lumière étonnement modernes. Enfin, s’affranchissant du noir et blanc, Barbara Crane capture les années 1980 au Polaroid, les festivals en plein air, les gestes, les expressions, les détails au plus près, comme un kaléidoscope nuancé de l’énergie d’un monde.
Une œuvre d’une grande contemporanéité
Mais c’est parfois loin de cette évolution que la photographe met à profit sa créativité, s’ancre dans une volonté de renouvellement, loin de toute notion de classicisme. Dans la chambre noire, elle invente ses Repeats. Des négatifs assemblés en miroir ou à l’envers, formant des œuvres horizontales aux résonances symétriques. Une quête de répétitions reflétant, selon elle, « l’idée de jeu, de transformation, d’infini ». Obsessionnelle, la série fait écho à une composition musicale, faite de crescendos, d’envolées adagio, et de points d’orgue se multipliant dans une boucle qu’on ne peut s’empêcher d’essayer de démêler.
Enfin, alors que la garde de ses enfants l’oblige à rester enfermée, loin de son terrain de jeu favori – la rue – elle développe, entre 1964 et 1968, Human Forms. Un travail poétique réalisé à la chambre photographique. Sur les images, dans un minimalisme délicat, elle esquisse des lignes de corps, des contours anonymes devenus silhouettes cernées d’ombres noires. Ainsi, le sens s’efface, pour laisser place à la sensation, au velouté du blanc, rehaussé par les contrastes sombres, marquant les formes. Une œuvre d’une contemporanéité remarquable dans laquelle des artistes émergent·es puisent, aujourd’hui l’inspiration. Parmi elleux, Sara Punt, et ses fragments sensuels, dont les lignes délimitent, elles aussi, les membres de ses modèles. Une manière, pour l’autrice, de souligner, dans la plus grande sobriété, les détails qui subliment la beauté de chacun·e.