Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Tout droit sorties d’un cauchemar, les mises en scène surréalistes d’Availu nous projettent au cœur d’un monde déshumanisé et abêtissant – le nôtre.
Deux caméras de vidéosurveillance face à face qui se scrutent intensément, mues par un désir commun, des individus assis droits sur une chaise, et qui semblent avoir perdu toute humanité, collés à quelques centimètres d’une télévision faisant désormais office de cerveau et de guide, scènes sanglantes au cœur de la banalité… La photographie intervient parfois dans le quotidien telle une semeuse de trouble. C’est sur Instagram que celui qui se cache sous le pseudonyme Availu présente ses mises en scène survoltées. Ce photographe d’à peine 22 ans, par ailleurs performeur et musicien, a grandi dans un contexte gouvernemental répressif et dictatorial, celui de la Russie – plus précisément à sa périphérie, à la frontière de la Chine. Availu s’empare du médium pour « protester contre la perception traditionnelle des choses qui nous entourent », selon ses mots. Son œuvre se veut réflexive : elle tend un miroir à son public. « Je souhaite croire qu’au contact de mes clichés, les gens se voient eux-mêmes », déclare-t-il. Concis et direct dans ses propos, le jeune artiste exhale une révolte intérieure contre la société de contrôle, qui se manifeste formidablement à travers le travail visuel qu’il réalise.
Une vision cauchemardesque de l’humanité
Au-delà d’une soif de créativité apparue dès l’adolescence, l’art semble représenter, aux yeux d’Availu, un outil indispensable pour comprendre la complexité de la nature humaine, caractérisée en tout premier lieu par « l’injustice et la folie », nous confie ce grand pessimiste, établi à Saint-Pétersbourg. « Dans les images qui nous entourent au quotidien, nous sommes habitué·es à voir de belles formes stéréotypées. Mais le monde est fou. Avec mon travail, j’essaie de rappeler aux gens l’absurdité de notre existence », affirme-t-il sans ménagement. De façon plus radicale encore, l’art permettrait à chacun·e de reconnaître la stupidité et le mal constitutif de l’être, à l’origine de nos attitudes envers les un·es et les autres, et de notre mode de vie, et donc de ce qui en découle – des guerres au désastre environnemental.
Profondément politique, l’œuvre d’Availu décrit une société poliment, mais violemment totalitaire. De la bureaucratie et ses raideurs au bonheur artificiel prôné par la société de consommation, de l’absurdité d’un monde tiraillé par des injonctions contradictoires – entre capitalisme et tyrannie –, l’artiste trouve le ton juste dans un registre proche de l’horreur. Emprunts d’une ironie et d’une perspicacité terrassantes, ses clichés portent en eux une invitation à la rébellion face aux dictats d’une collectivité excessivement normée et rigide, qui érige le contrôle social et de soi-même en règle incontestable. Être heureux dans un monde qui astreint et soumet ? Pour Availu, voilà une chose strictement impossible. Seule solution, se lever.
© Availu