Au musée Réattu d’Arles, dans la fraîcheur d’une ancienne commanderie de chevaliers, le silence devient matière. Jusqu’au 5 octobre 2025, l’artiste suisse Béatrice Helg y dévoile une œuvre dense, à la fois intime et cosmique.
Géométries du silence rassemble plus de 70 photographies grand format, issues de plus de trente-cinq ans de création. Une monographie ample, mais qui échappe au piège de la rétrospective : Béatrice Helg poursuit inlassablement sa quête intérieure. Dans cette exposition, le temps se tord. Pas de chronologie, mais un agencement sensible où les séries dialoguent comme les mouvements d’un quatuor. Car chez Béatrice Helg, la musique n’est jamais loin : violoncelliste de formation, elle sculpte la lumière comme d’autres la vibration. « La photographie est une écriture de lumière – de l’obscur et de la lumière dans l’espace », dit-elle. Une partition plastique où résonnent les silences autant que les éclats.
Au fil de la visite guidée par l’artiste elle-même, on perçoit une forme d’obsession. Dans l’ombre de son atelier, elle crée des structures à partir de matériaux récupérés, trouvés dans la rue, façonnés, détournés. Tubes, tôles, tissus deviennent sculptures provisoires, dressées juste pour la photographie. Puis tout disparaît. Ne subsiste que l’image, étrange et hypnotique. Une architecture mentale. Un théâtre de la lumière.
Un univers intérieur
Impossible de ne pas songer à Georges Rousse, dans ce même jeu d’anamorphoses, d’espaces instables. Mais la comparaison l’agace. À juste titre. Là où Georges Rousse investit le monde réel, Béatrice Helg bâtit un univers intérieur. Pas de décor existant, mais un espace reconstitué, pur, mental. « Cette écriture, que je n’ai pas choisie, s’est très vite imposée à moi, confie-t-elle. Elle me donne la possibilité d’exprimer des sentiments, de transmettre des sensations, des pensées que je ne saurais évoquer par une photographie de la réalité, ou par des mots. »
Influencée par l’avant-garde russe et le constructivisme, l’artiste trace une voie singulière. Une photographie non figurative, quasi spirituelle, qui explore « l’espace du dedans », comme elle le nomme. À travers ses séries – Théâtres de la lumière, Cosmos, Résonance, Natura –, on voyage dans un cosmos tactile, où les ombres dansent avec l’absolu.
« Sentir la beauté, c’est participer à l’abstraction à travers un agent particulier », écrivait Rothko dans un essai qui sera publié à titre posthume sous le titre de La Réalité de l’artiste. Béatrice Helg, elle, en fait l’expérience au quotidien. Au fond de l’image, quelque chose vibre, palpite. C’est cela qu’on entend, dans le silence.