Dans ses autoradiographies, Masamichi Kagaya révèle les traces laissées par les rejets radioactifs sur des objets, sur la flore et sur la faune. Menée à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, en mars 2011, cette approche scientifique et documentaire produit des images d’une intrigante beauté, aussi énigmatique que vénéneuse. Son travail intitulé, Autoradiographie – Les effets du dieu nucléaire est à découvrir à la Galerie Spéos jusqu’au 8 janvier 2018.
« Avec cet ensemble d’autoradiographies, j’espère que les générations futures laisseront derrière elles notre société dépendante de l’énergie nucléaire, et seront dispensées des accidents et des déchets nucléaires »,
déclare Masamichi Kagaya, photographe japonais de 30 ans, qui a mis au point avec Satoshi Mori, professeur émérite de l’université de Tokyo, un étonnant procédé de visualisation des retombées radioactives. Car si jusqu’à présent on pouvait mesurer le niveau de la radioactivité dans l’air, on ne pouvait pas savoir « comment les particules radioactives sont distribuées, où elles se concentrent dans les villes, les lacs, les forêts et sur les créatures vivantes », poursuit le photographe.
La contamination radioactive continue d’être une préoccupation majeure au Japon. « L’ennemi invisible » – comme on nomme ici, pour le décrire, ce mal inodore et incolore qui traverse de grandes étendues, porté par les vents – continue d’empoisonner la vie des habitants. Plus de 80 000 personnes ont dû être évacuées des villes et villages autour de Fukushima à la suite de la triple catastrophe de 2011 (tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire). Trois mois plus tard, en juillet de la même année, Masamichi Kagaya a décidé de rentrer au Japon pour chercher un moyen de visualiser les radiations reçues par les objets, les plantes ou les animaux. Avec le professeur Satoshi Mori, qui travaille notamment sur la contamination des végétaux, il va ainsi mettre au point ce qu’il appelle les « autoradiographies ».
Contamination révélée
Pour réaliser ces images, il suffit de placer un échantillon sur la plaque sensible à la radioactivité (développée en 1987 par Fujifilm Industries et Kasei Optics) durant une période donnée, puis de la « révéler » par un dispositif qui permet de rendre progressivement visible la répartition des substances radioactives. Depuis cinq ans, le photographe et le chercheur ont ainsi produit plus de 300 autoradiographies de la flore et de la faune, ainsi que de différents objets. Ce procédé de révélation est une première. En effet, on peut visualiser non seulement les dépôts de particules radioactives qui, comme des diamants, produisent des scintillements. Mais on peut aussi remarquer, sur les plantes comme les animaux, différents niveaux lumineux qui sont proportionnels à la radioactivité ingérée. On voit ainsi sur une souris, dont on a extrait les organes internes, que ses reins sont particulièrement exposés (presque blancs) parce qu’ils ont filtré une grande quantité d’eau contaminée. En effet, rappelle le photographe : « Dans les grandes régions qui s’étendent des environs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi à Namie, Iitate et les forêts denses des montagnes d’Abukuma, les animaux qui continuent à vivre dans ces zones sont exposés à de fortes radiations. »
Ce travail de visualisation de la contamination radioactive a fait l’objet de plusieurs expositions et de la publication d’un livre en 2015. Suite à cette édition, des habitants ont demandé à ce que l’on compare des matières contaminées à d’autres non contaminées, en particulier des aliments. D’une part parce qu’il existe une radioactivité naturelle qu’ils souhaitaient mettre en regard avec une contamination d’origine nucléaire, et d’autre part pour savoir si les aliments qu’ils achetaient étaient propres à la consommation. C’est ainsi que se sont développées les autoradiographies, dont une partie est visible sur le site du photographe, et que l’on peut aussi découvrir sur son smartphone et en 3D, grâce à une application dédiée. « Maintenant, nous pouvons voir ce type de contamination comme des images et non comme des mesures. Nous pouvons tous constater qu’elle existe. En outre, nous avons trouvé un type de contamination que nous ne connaissions pas », souligne le photographe. Mais le plus étonnant, au-delà de l’aspect scientifique qui donne à ce travail sa dimension documentaire, c’est son incroyable beauté plastique qui confère une poésie à la vision spectrale de la contamination radioactive. Ce résultat étonnant a séduit le jury des lectures de portfolios de Kyotographie qui lui a décerné son premier prix, et a obtenu en mai dernier une Honorary Mention dans la catégorie « Art hybride » des Prix Ars Electronica, qui distinguent le cyber-art.
© Masamichi Kagaya