Sorti le 7 septembre 2024, Bodies of Work, le tout premier livre de la maison d’édition Collapse Books, fondée par Bastien Forato, est dédié à l’artiste pluridisciplinaire Marilou Poncin. Regroupant un florilège d’œuvres, il propose une relecture du travail de l’artiste au détour de son sujet préféré : le corps.
« Marilou [Poncin] était à un point dans sa carrière où elle explosait, pourtant elle n’avait toujours pas édité de livre : c’était le moment », affirme Bastien Forato. Son master en design du livre presse en poche, le fondateur de la maison d’édition Collapse Books fait ses armes à la Galerie Perrotin. « Je suis arrivé au même moment que la directrice des éditions, et je l’ai rapidement assistée. Elle m’a beaucoup appris : c’était une experte, qui avait notamment travaillé sur les livres de Sophie Calle », se souvient-il. Fort de cette expérience, il poursuit sa spécialisation au sein même de Fisheye, dont il co-structure le pôle éditions. Un challenge qui lui permet d’apprivoiser le milieu du livre – ses acteurices, distributeurices, auteurices – tout en réalisant des ouvrages photographiques singuliers (Lilou de Lucie Hodiesne Darras, The Pigment Change d’Almudena Romero ou encore la collection Sub dédiée à une scène émergente, en marge de la production contemporaine, ndlr.) « Puis, lorsque je suis parti, j’ai repensé à un rêve que j’avais depuis toujours : créer ma propre maison », poursuit-il.
Se rapprochant d’abord de divers studios de design graphique, il réalise rapidement que ses postes précédents lui confèrent l’expérience nécessaire. Mais ce n’est qu’en échangeant avec Marilou Poncin – une amie dont il admire le travail – que son fantasme se concrétise : « Elle m’a fait confiance en me proposant de faire ce projet ensemble avec, comme ligne de mire, un solo show prévu en septembre », explique-t-il.
Une autre manière de produire
Sans structure ni fonds, Bastien Forato se lance dans un pari risqué : réaliser l’ouvrage entièrement seul. « Je ne voulais pas partager de crowdfunding, car pour moi, le projet allait voir le jour dans tous les cas, sans qu’il dépende ou non d’un public », précise l’éditeur, qui souligne également l’importance de « prendre son temps » pour mettre en place un « réel accompagnement ». Car s’il se laisse guider par sa passion, l’éditeur est conscient des difficultés du milieu : « Le secteur est niche, les ventes difficiles, il y a peu de places, mais beaucoup de maisons se créent : une nouvelle génération d’éditeurices veulent publier des choses différentes, des thématiques moins courantes, des artistes de certaines régions du monde… C’est une autre manière de produire ! », affirme-t-il. Puisant son inspiration dans un modèle anglo-saxon, plus friand des mélanges des genres, il entend croiser photographie, design ou même art contemporain au sein de ses collections, espérant sortir deux ouvrages par an. « Et Marilou était l’artiste parfaite pour démarrer », s’amuse-t-il. Au sein de Bodies of Work, les œuvres vidéo sont traitées comme des planches-contacts, les céramiques comme un bestiaire. Les chronologies se croisent, à l’épreuve du temps, pour appeler à « revisiter » le travail de l’autrice. « C’est un challenge, mais en même temps, ça raconte quelque chose. C’est une véritable relecture de son travail », ajoute-t-il.
Le corps comme fil rouge du récit
Divisé en plusieurs chapitres, le livre de Marilou Poncin suit un fil rouge, une obsession, colorant chacune de ses inventions : le corps. Mises en scène, performances, sculptures, vidéo, créations abstraites… Des images imprimées émane toute une réflexion sur la place de la femme dans une société patriarcale, sur le regard que l’on pose sur elle – qu’elle soit anonyme ou artiste. À la croisée des médiums, Bodies of Work s’intéresse d’abord, dans « Beauty Standards » à l’image des femmes dans les médias. Les standards de beauté attendus, la critique d’un corps « mis à mal » par la critique. Tirant le fil, l’artiste se penche ensuite, avec sur le corps onirique, fantasmé – celui que l’on trouve dans les magazines érotiques, et, en parallèle dans ses vidéos. Son travail emblématique sur les love dolls est à retrouver dans la troisième partie, dédiée à la femme objet. Ici, tout idée d’organisme, d’esprit est effacé pour ne garder que la forme. « Pourtant, Marilou Poncin met ici l’accent sur la dimension sentimentale, plutôt que sexuelle – elle a rencontré beaucoup de gens qui se considèrent en couple avec ces poupées », commente Bastien Forato. Enfin, l’ouvrage poursuit son avancée jusqu’à l’abstraction : dans le dernier chapitre, « Plastic love ». Ici, le corps est invisible. Les objets sont non anthropomorphes – ils ont remplacé la femme, ce sont avec eux que l’on assouvit des besoins sexuels, panse nos envies de tendresse. Aux images s’ajoutent une préface signée par Elora Weill-Engerer, historienne de l’art, ainsi qu’un entretien réalisé par la curatrice Flora Fettah, venant étoffer le propos de l’artiste visuelle.
Baigné dans des tons bleutés, violets, comme les halos d’une nuit hallucinatoire que d’étranges figures habiteraient, l’ouvrage de Collapse Books nous plonge dans un univers sensuel et futuriste où les technologies recouvrent la solitude, et les diktats esthétiques s’effacent, dans des traces gluantes faites de salive et de larme. Monographie ambitieuse, l’objet parvient à proposer une nouvelle narration labyrinthique au sein du corpus de Marilou Poncin, pour mieux nous aider à nous frayer un chemin dans son imaginaire débordant.
220 pages
39 €