Portée par la conviction que « redonner de la valeur au document c’est redonner de la valeur à l’époque », Charlotte Flossaut a fondé, en 2015, Photo Doc. Premier événement dédié à la photographie documentaire, le salon Photo Doc a pour vocation de développer la recherche, la pédagogie et le marché d’une écriture indispensable pour comprendre le monde qui nous entoure. À l’occasion de la 7e édition qui se tiendra du 12 au 14 mai à la Halle des Blancs Manteaux, à Paris, elle revient sur la genèse et la raison d’être du projet. Entretien.
Fisheye : Tu as démarré dans le monde de la photo en tant que mannequin et te voilà directrice d’une foire, peux-tu revenir sur ton parcours professionnel ?
Charlotte Flossaut : Avant de fonder Photo Doc en 2015, j’avais déjà amorcé une évolution vers ce territoire photographique, il est vrai, relativement éloigné de celui de la mode, bien que cela m’est amené à collaborer avec de grandes figures comme Sarah Moon, Albert Watson, Koto Bolofo, Deborah Turbeville ou Duane Michaels…J’avais en effet créé une agence de photographes qui avait pour enjeu de mettre en relation écritures d’auteurs et la commande et la publicité….C’était en 2003 ! Presque un peu tôt…
Ensuite, Eric Fantou, fondateur du salon Photo Off qui se tenait à la Bellevilloise, a fait appel à moi pour reprendre la direction artistique de l’évènement, et comme il n’était pas dans mes intentions d’aller vers des évidences purement formelles ou de styles, j’ai cherché à entrer en relation avec une photographie qui exprimait quelque chose de son époque. Déjà exposé lors de l’édition de Photo Off précédent mon arrivée, c’est le travail d’Emeric Lhuisset qui m’a mise sur la voie d’une photographie représentative d’une génération qui s’engage en conscience pour le monde…et le Off est devenu Doc !.. Trois ans plus tard en 2015.
Photo Doc défend une écriture documentaire qui « prend art à la transformation du monde »…
Pour préciser ce qui a été dit plus tôt, il nous a fallu avec Valentin Bardawil, co-fondateur de l’aventure, positionner cette intuition, lui donner du corps et définir cette particularité du documentaire, qui n’a jamais été un style pour nous, mais bien une intention d’être en altérité avec le monde et surtout la différencier du reportage dont la mission est la transmission d’informations d’actualité. Comprendre que la photographie documentaire est la seule qui dépende à ce point de la reconnaissance du pouvoir de l’autre, d’un mutuel engagement dans l’image – impliquant un temps long qui parfois touche à l’immersif – a été essentiel. Ensuite il a fallu mettre en application ces concepts, ce qui a été rendu possible grâce aux photographes qui, nous faisant confiance, nous ont livré tant d’histoires incroyables qui ont forgé notre admiration et guidé nos prises de position. Cette phrase référence pour nous « prendre part à la transformation du monde » ne vient pas de nulle part, mais bien d’un pacte scellé entre les photographes et les photographié·e·s qui les transforme et agit sur le spectateur. Nous parlions d’ailleurs dès les débuts d’une « photographie agissante ».
Depuis trois ans, nous développons cette notion dans le cadre de l’Observatoire des nouvelles écritures de la photographie documentaire autour du pouvoir de l’intime, en collaboration avec le Gis le sujet dans la cité, Sorbonne Paris Nord-Campus Condorcet.
Collection PhotoSerie 1 © David Siodos
Quelle est la photo qui a changé ta vie ?
Puisque nous sommes dans la thématique de l’Autoportrait …vers un commun de l’œuvre, il y a cette photo que j’ai faite avec Albert Watson, la première des nombreuses qui ont suivi. Je devais avoir 17 ans et nous étions dans la campagne anglaise. Albert cherchait une attitude inattendue, brute, sauvage et élégante…J’ai compris très rapidement, et, d’un geste simple, je l’ai exprimée. Il en était très heureux. Cette photo m’a définie pour longtemps, je me souviens encore de la libération qu’elle a opéré en moi, de cette magie d’oser ressentie.
Quelles sont les nouveautés de cette septième édition ?
Nous proposons à nouveau un programme de tables rondes prestigieuses en collaboration avec la recherche, le département Éditeurs ouvert l’année dernière se poursuit, et cette année j’ai créé un espace dédié aux photographes non représentés, enfin nous accueillons deux festivals de régions dans la perspective de partenariats actifs, ce qui me réjouit totalement !
Par ailleurs ce qui ne change pas c’est une relation constructive avec les galeries et collectifs, souvent en fidélité, grâce à qui l’événement tient ses promesses éditoriales.
Pourquoi avoir choisi l’autoportrait comme thème ?
Choisir l’autoportrait c’était attirer l’attention sur une pratique « intrinsèquement » non associée au documentaire, et pourtant c’est ce dont il est pleinement question. Il s’agit de questionner ce que signifie la représentation que l’auteur fait de soi et comment par le documentaire, la co-création, l’engagement réciproque, la confrontation aux enjeux de société en commun, le photographe entre en reconnaissance de lui-même. Il s’agissait de rappeler que le plus court chemin de soi à soi passe par l’Autre et d’en dégager sa matérialisation.
À g. To remember Butoh Dancer Yoshimoto Daisuke, 2001 © Hiroh Kikaï / In)(between Gallery et à d. Reconsolidation © Isabel Perez del Pulgar / Larvoratoire Photographique
Un mot quant au choix du parrain, l’écrivain et professeur de littérature français Fabrice Humbert ?
Une toute petite photo a modifié sa vie et nous relie à l’une des périodes les plus violentes de l’histoire, à celle bouleversée d’une famille, la même nous tient hors d’haleine et fouille ce sentiment de responsabilité que nous préférons le plus souvent possible éviter. Aux côtés de Fabrice Humbert on entre dans les profondeurs du pouvoir d’une photographie et nous connectons à sa puissance de fiction sur le réel, en la regardant terriblement en face beaucoup plus longtemps que prévu….
Que représente le 8e art pour toi aujourd’hui ?
Il y a photo et image…Nous sommes entouré·e·s de tellement d’images.. Une photo selon moi porte réellement un regard du point de vue du vivant, celles et ceux qui m’intéressent ne font pas semblant. Le « pour de vrai » est tellement précieux, d’ailleurs j’avais donné ce nom à une édition de Photo Off qui était « For real »…Je me souviens que l’événement avait été costaud ! Tout autant que notre manière de nommer les choses compte, la photographie est loin d’être un divertissement ou une représentation d’un réel, mais bien un levier d’action sur ce qui advient.
© Farshid Tighehsaz / VII pour 6Mois
À g. Collection PhotoSerie 2 – Marbre 2019 © Isabeau de Rouffignac et à d. Collection PhotoSerie 2 © Las Reinas del Bosque © Françoise Evenou
Collection PhotoSerie 1 © Laurent Reyes
Image d’ouverture © Isabel Perez del Pulgar