Jusqu’au 15 janvier 2022, la Galerie Écho 119 accueille À la frontière des songes, une exposition regroupant deux séries de la photographe Chieko Shiraishi. Une collection d’œuvres à la délicatesse extrême proposant un voyage aussi physique que psychique.
Une forêt enneigée, une ville endormie, la traversée de cerfs en terre sauvage, une mystérieuse baleine échouée en plein espace urbain… Entre fantasme et réalité, les œuvres de Chieko Shiraishi se lisent comme des instants de grâce absolue, suspendus dans le temps, comme une expiration face au noble silence d’un lac gelé. C’est aux côtés de Katsuhito Nakazato et Kazuo Kitai que la photographe japonaise née en 1968 s’initie à la chambre noire et apprend à maîtriser les techniques de tirage. Passionnée par ces procédés, elle s’immerge dans cet univers intimiste, et fait de l’impression une part primordiale de son travail. Une dimension artisanale nécessaire, puisqu’elle vient complimenter les images et leur apporter une aura plastique. Comme une aquarelle monochrome, où les coups de pinceau se fondent dans le paysage représenté. Véritables tableaux uniques, chacune des photographies évoque une recherche de la perfection, une tâche longue, pointilleuse, faisant surgir chaque détail, chaque texture. Et parmi ses expérimentations favorites, se trouve le Zokin-Gaze, populaire dans les années 1920 et 1930, tombée ensuite dans l’oubli. Une technique qui consiste à appliquer de la peinture à l’huile sur les tirages pour ensuite enlever de la matière à l’aide d’un chiffon. Un savoir-faire pictural, sensoriel, qui rend les images organiques, presque vivantes.
Une ode au silence
Regroupant deux séries de l’artiste – Shikatawari (La Traversée des Cerfs) et Shimakage (L’ombre des Îles) – l’exposition À la frontière des songes s’articule autour de l’errance. Une errance en pleine nature, tout d’abord, puisque pendant plusieurs années Chieko Shiraishi a suivi un troupeau de cerfs dans l’est de Hokkaido. Une plongée dans un territoire hostile, glacial, où elle s’abandonne pour capter les mouvements des animaux. Dans cet espace isolé, chaque élément semble posséder une âme. Osmose entre les minéraux, la végétation et les êtres vivants, la série tisse des liens entre chaque partie du vivant pour mieux les réunir, dans une œuvre solitaire et magistrale.
Plus urbaine, Shimakage retrace les voyages de la photographe aux quatre coins du Japon dans un univers composé d’ombres et de noirs veloutés. Pensée comme une course aux souvenirs, un désir d’encapsuler la sensation de ces fragments de mémoire avant qu’ils ne s’effacent, la série joue avec le réel et fait basculer le regardeur dans le monde des songes. Sublimés par la peinture, les tirages se parent d’une aura fantastique, et viennent interroger notre rapport au passé. Entre émerveillement et mélancolie, réalisme et envolées délirantes, les images de l’autrice rapportent des tréfonds de l’intime des écrins lumineux. C’est une ode au silence, que nous propose finalement Chieko Shiraishi. Un périple magique dans un monde immobilisé par la neige, par le poids du souvenir. Et nos pas laissent des traces sur le sol blanc, leur bruit assourdi par l’épaisse couche de neige. Ils nous guident vers des créations cathartiques, venus tout droit du cœur de la photographe. Une marche hypnotique dans un espace figé, dont les nuances de gris enveloppent les silhouettes d’un manteau rassurant, et invitent les esprits à amorcer ce voyage psychique, au bord de l’imaginaire.
© Chieko Shiraishi