Dans I give you my life, Chloé Jafé retrace le parcours de femmes de la mafia japonaise. Au fil de clichés en noir et blanc se découvre l’existence de ces figures tatouées, fortes et agissant dans l’ombre.
Des visages intrépides, une certaine poésie de la brutalité, et un noir et blanc percutant… I give you my life est le premier volet de la trilogie Sakasa – « contraste » en japonais – de la photographe française Chloé Jafé. Différents et pourtant intimement liés, les trois projets offrent un regard sans filtre sur le pays du Soleil-Levant. Loin de la pudeur des traditions japonaises, l’artiste illustre ce qui a toujours été dissimulé. Et la thématique du premier chapitre n’y échappe pas. « I give you my life est un travail photographique sur les femmes dans la mafia japonaise. Elles portent leur mari, gèrent les finances, et sont dévouées à leur famille. Ce sont des femmes fortes qui restent dans l’ombre », explique Chloé Jafé, qui a vécu plus de sept ans au Japon. Au fil des pages de son livre, les images se mêlent à des illustrations et aux lettres des femmes photographiées. L’un des témoignages affirme un mode de vie régi par la terreur : « Nous, yakuzas, faisons tout rapidement. Nous mangeons, buvons et faisons l’amour rapidement. Nous ne savons jamais ce qui va arriver. Nous devons toujours être prêts. » Extrêmement fermée, quasiment impénétrable, cette mafia a néanmoins ouvert ses portes à la photographe lyonnaise. Sa persévérance, sa patience et la certitude que ce projet lui appartenait lui ont permis d’y accéder.
Tout débute en 2013. Chloé Jafé arrive au Japon, suit des cours de japonais et commence ses recherches. Mais sa quête reste de longs mois en suspens. Elle laisse de côté son boîtier pour devenir hôtesse dans un club de Ginza – l’un des quartiers huppés de Tokyo. « Un jour, une amie m’a proposé de faire des photos des hôtesses qui se préparent avant leur service. Je ne voulais pas être cette photographe étrangère qui les capturait sans comprendre. J’avais besoin de devenir l’une d’entre elles », se remémore l’artiste. Deux ans plus tard, elle rencontre, au détour d’une ruelle, un chef de clan renommé. Sur les conseils d’un ami journaliste spécialisé dans le crime organisé, elle lui donne rendez-vous dans une brasserie la première fois, entre une station de métro et un poste de police. « Il m’avait aussi conseillé de régler l’addition pour qu’il n’y ait pas de malentendu et pour éviter une relation de pouvoir. Puis, notre curiosité mutuelle s’est transformée en confiance, et j’ai pu commencer à immortaliser sa famille », poursuit-elle.
Des destins encrés
Au-delà des costumes-cravates institutionnels et des kimonos traditionnels, les clichés de Chloé Jafé dévoilent des corps de femmes et d’hommes dont les tatouages scellent le destin. Présenté comme une caractéristique propre aux yakuzas, le tatouage traditionnel appelé irezumi est mal perçu au Japon. Pour la photographe, montrer ces dessins est une évidence tant l’histoire de ce groupe se construit autour de cet encrage corporel : « C’est souvent un signe de force, de résistance à la douleur, mais aussi de persévérance. Certaines femmes tatouent le nom de leur bien-aimé, et certains hommes le nom ou le symbole du groupe auquel ils appartiennent. Le tatouage, à fleur de peau, raconte beaucoup d’histoires. Il n’est même pas fait pour être montré. Il s’apparente à une armure. » Lorsque leurs contours et remplissages sont en noir, cela accentue la profondeur du dessin sur la chair. En photo, ces tatouages hypnotisent et fascinent.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #66.