Chloé Jafé : chair armure

29 août 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chloé Jafé : chair armure
© Chloé Jafé
Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant une femme yakuza
© Chloé Jafé

Dans I give you my life, Chloé Jafé retrace le parcours de femmes de la mafia japonaise. Au fil de clichés en noir et blanc se découvre l’existence de ces figures tatouées, fortes et agissant dans l’ombre.

Des visages intrépides, une certaine poésie de la brutalité, et un noir et blanc percutant… I give you my life est le premier volet de la trilogie Sakasa – « contraste » en japonais – de la photographe française Chloé Jafé. Différents et pourtant intimement liés, les trois projets offrent un regard sans filtre sur le pays du Soleil-Levant. Loin de la pudeur des traditions japonaises, l’artiste illustre ce qui a toujours été dissimulé. Et la thématique du premier chapitre n’y échappe pas. « I give you my life est un travail photographique sur les femmes dans la mafia japonaise. Elles portent leur mari, gèrent les finances, et sont dévouées à leur famille. Ce sont des femmes fortes qui restent dans l’ombre », explique Chloé Jafé, qui a vécu plus de sept ans au Japon. Au fil des pages de son livre, les images se mêlent à des illustrations et aux lettres des femmes photographiées. L’un des témoignages affirme un mode de vie régi par la terreur : « Nous, yakuzas, faisons tout rapidement. Nous mangeons, buvons et faisons l’amour rapidement. Nous ne savons jamais ce qui va arriver. Nous devons toujours être prêts. » Extrêmement fermée, quasiment impénétrable, cette mafia a néanmoins ouvert ses portes à la photographe lyonnaise. Sa persévérance, sa patience et la certitude que ce projet lui appartenait lui ont permis d’y accéder. 

Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant les femmes des yakuzas
© Chloé Jafé
Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant deux membres de la mafia japonaise
© Chloé Jafé

Tout débute en 2013. Chloé Jafé arrive au Japon, suit des cours de japonais et commence ses recherches. Mais sa quête reste de longs mois en suspens. Elle laisse de côté son boîtier pour devenir hôtesse dans un club de Ginza – l’un des quartiers huppés de Tokyo. « Un jour, une amie m’a proposé de faire des photos des hôtesses qui se préparent avant leur service. Je ne voulais pas être cette photographe étrangère qui les capturait sans comprendre. J’avais besoin de devenir l’une d’entre elles », se remémore l’artiste. Deux ans plus tard, elle rencontre, au détour d’une ruelle, un chef de clan renommé. Sur les conseils d’un ami journaliste spécialisé dans le crime organisé, elle lui donne rendez-vous dans une brasserie la première fois, entre une station de métro et un poste de police. « Il m’avait aussi conseillé de régler l’addition pour qu’il n’y ait pas de malentendu et pour éviter une relation de pouvoir. Puis, notre curiosité mutuelle s’est transformée en confiance, et j’ai pu commencer à immortaliser sa famille », poursuit-elle.

Des destins encrés

Au-delà des costumes-cravates institutionnels et des kimonos traditionnels, les clichés de Chloé Jafé dévoilent des corps de femmes et d’hommes dont les tatouages scellent le destin. Présenté comme une caractéristique propre aux yakuzas, le tatouage traditionnel appelé irezumi est mal perçu au Japon. Pour la photographe, montrer ces dessins est une évidence tant l’histoire de ce groupe se construit autour de cet encrage corporel : « C’est souvent un signe de force, de résistance à la douleur, mais aussi de persévérance. Certaines femmes tatouent le nom de leur bien-aimé, et certains hommes le nom ou le symbole du groupe auquel ils appartiennent. Le tatouage, à fleur de peau, raconte beaucoup d’histoires. Il n’est même pas fait pour être montré. Il s’apparente à une armure. » Lorsque leurs contours et remplissages sont en noir, cela accentue la profondeur du dessin sur la chair. En photo, ces tatouages hypnotisent et fascinent. 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #66.

Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant le dos d'une femme yakuza
© Chloé Jafé
Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant un serpent
© Chloé Jafé
Photographie en noir et blanc de Chloé Jafé montrant le dos d'une femme yakuza
© Chloé Jafé
À lire aussi
How I Met Jiro : les marges d'Osaka révélées par Chloé Jafé
© Chloé Jafé
How I Met Jiro : les marges d’Osaka révélées par Chloé Jafé
Avec How I Met Jiro, livre édité conjointement par The(M) Editions et IBASHO, Chloé Jafé clôt une trilogie en trois chapitres qui conte…
13 juin 2024   •  
Écrit par Milena III
Le Japon dans l'œil des photographes de Fisheye
© Momo Okabe
Le Japon dans l’œil des photographes de Fisheye
Qu’iels y habitent, le visitent, où l’imaginent dans des envolées visuelles oniriques, les photographes présent·es sur nos pages sont…
06 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Focus : la voie des femmes
© Paola Paredes
Focus : la voie des femmes
Depuis plus de deux ans, Focus s’attache à raconter des histoires : celles qui enrichissent les séries des photographes publié·e·s dans…
17 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Les avenirs vacants, Grand Prix du Jury © Victor Arsic
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Le Groupe AEF info a annoncé les lauréat·es de la première édition de son concours Trophées Photos Jeunes D’Avenirs. Six jeunes artistes...
23 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
© Madeleine de Sinéty
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
L’exposition Madeleine de Sinéty. Une vie, présentée au Château de Tours jusqu'au 17 mai 2026, puis au Jeu de Paume du 12 juin au 27...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
© Sarah van Rij
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
Jusqu’au 25 janvier 2026, Sarah van Rij investit le Studio de la Maison européenne de la photographie et présente Atlas of Echoes....
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
© Carla Rossi
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Les avenirs vacants, Grand Prix du Jury © Victor Arsic
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Le Groupe AEF info a annoncé les lauréat·es de la première édition de son concours Trophées Photos Jeunes D’Avenirs. Six jeunes artistes...
23 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
© Christie Fitzpatrick / Instagram
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
À l’approche des fêtes de fin d’année, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine capturent la poudreuse, les chutes...
23 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Tracey Vessey, extrait du film Trouble Every day, film de Claire Denis, Paris, 2001 © Rezo Productions
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Pour ce nouveau 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, la scénariste et réalisatrice Claire Denis était invitée à revenir sur ses racines, ses...
22 décembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot