Cette année marque le centenaire de la naissance de Robert Frank. À cette occasion, plusieurs évènements, à l’instar de PhotoSaintGermain et de Paris Photo, lui rendent hommage au travers d’expositions. Dans ce sillage, revenons sur l’influence que ce grand nom de la photographie exerce encore sur les jeunes générations.
Figure emblématique de la Beat Generation, Robert Frank a laissé sa trace dans l’histoire de la photographie moderne. Puisant dans les codes du photojournalisme, son œuvre se compose de sujets tirés de la vie quotidienne. Devant son objectif, le réel se dévoile dans toute sa crudité, comme en témoigne notamment Les Américains, son fameux ouvrage publié en 1958. Au fil des pages se découvre un territoire bouleversé par un rêve américain qui semble alors ne jamais avoir aussi bien porté son nom. Les monochromes sont profonds, le grain est saillant. Les inégalités se devinent dans l’intensité des contrastes quand la mélancolie se lit dans les regards comme dans les bâtisses. La noirceur du monde s’étale ainsi par l’entremise de cadrages décentrés et de jeux de flou. Au cours de nos différents entretiens réalisés pour Fisheye, un certain nombre de photographes a évoqué son inclination pour cette esthétique singulière. C’est le cas d’Arno Brignon, de Marley Hutchinson, de Jean-Luc Bertini et d’Antoni Benavente Barbero.
La vie ordinaire au-delà des clichés
« Faire un road trip quand on est photographe n’est pas une idée très originale. Mais j’avais besoin de me confronter à cette figure paternelle photographique – et de “tuer le père” », expliquait Arno Brignon. Les motifs, déjà esquissés par Robert Frank, se retrouvent dans les images de sa série Us. Elles sont traversées par les lieux communs qui nourrissent nos représentations des États-Unis : des kilomètres de routes, l’étrange intimité des motels, un drapeau dans l’azur. L’usage de pellicules périmées accentue le trouble, démontre la volonté d’offrir des tirages bruts, imparfaits. Le fond et la forme se recoupent alors. Pour réaliser Canadian West, Marley Hutchinson a également sillonné le continent nord-américain en ayant à l’esprit les « les classiques photographiques » du 20e siècle. Les zones rurales reculées et les villes dépeuplées sont dépeintes dans des noir et blanc marqués. Les portraits laissent entrevoir des fragments identités, des émotions saisies sur le vif, sans artifices.
Le vague à l’âme se distille tout autant dans Américaines Solitudes de Jean-Luc Bertini. « Arrivé à la moitié du projet, j’ai su, à l’instar d’un Robert Frank, que ma série porterait aussi sur les Américain·es. Mais ce serait mes Américain·es. Celles et ceux que j’avais vu·es, ou cru voir. À partir de ce moment-là, je n’ai pas eu d’autre ambition que celle-ci », nous a-t-il confié par le passé. En couleur cette fois-ci, le photographe montre un pays habité par la solitude, où les paradoxes sont poussés à leur paroxysme. Faisant fi des fantasmes, la vie ordinaire se détache finalement des clichés. Dans un autre genre, Antoni Benavente Barbero est à l’origine d’un corpus de beautés ignorées, empreintes de mélancolie. Les tirages de Robert Frank lui inspirent « des carnets de voyage intenses, authentiques et autobiographiques ». Ces trois adjectifs correspondent aussi bien à ses poésies visuelles dont les structures épurées et grenues confèrent une profondeur particulière. « J’aime à croire que les ressources esthétiques du noir et blanc me rapprochent de l’esprit des choses, de ce qu’elles sont véritablement », indiquait-il. Quelles que soient les approches adoptées, les références à celles et ceux qui ont marqué le 8e art créent ainsi un système de résonances qui, par sa richesse, concède d’autant plus d’épaisseur aux images.