Contrastes et mélancolie : l’influence de Robert Frank

28 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contrastes et mélancolie : l’influence de Robert Frank
© Marley Hutchinson

Cette année marque le centenaire de la naissance de Robert Frank. À cette occasion, plusieurs évènements, à l’instar de PhotoSaintGermain et de Paris Photo, lui rendent hommage au travers d’expositions. Dans ce sillage, revenons sur l’influence que ce grand nom de la photographie exerce encore sur les jeunes générations.

Figure emblématique de la Beat Generation, Robert Frank a laissé sa trace dans l’histoire de la photographie moderne. Puisant dans les codes du photojournalisme, son œuvre se compose de sujets tirés de la vie quotidienne. Devant son objectif, le réel se dévoile dans toute sa crudité, comme en témoigne notamment Les Américains, son fameux ouvrage publié en 1958. Au fil des pages se découvre un territoire bouleversé par un rêve américain qui semble alors ne jamais avoir aussi bien porté son nom. Les monochromes sont profonds, le grain est saillant. Les inégalités se devinent dans l’intensité des contrastes quand la mélancolie se lit dans les regards comme dans les bâtisses. La noirceur du monde s’étale ainsi par l’entremise de cadrages décentrés et de jeux de flou. Au cours de nos différents entretiens réalisés pour Fisheye, un certain nombre de photographes a évoqué son inclination pour cette esthétique singulière. C’est le cas d’Arno Brignon, de Marley Hutchinson, de Jean-Luc Bertini et d’Antoni Benavente Barbero.

femme pensive assise seule sur un banc
© Jean-Luc Bertini
chardons sauvages
© Antoni Benavente Barbero
couple dans la rue passant devant une voiture
© Marley Hutchinson

La vie ordinaire au-delà des clichés

« Faire un road trip quand on est photographe n’est pas une idée très originale. Mais j’avais besoin de me confronter à cette figure paternelle photographique – et de “tuer le père” », expliquait Arno Brignon. Les motifs, déjà esquissés par Robert Frank, se retrouvent dans les images de sa série Us. Elles sont traversées par les lieux communs qui nourrissent nos représentations des États-Unis : des kilomètres de routes, l’étrange intimité des motels, un drapeau dans l’azur. L’usage de pellicules périmées accentue le trouble, démontre la volonté d’offrir des tirages bruts, imparfaits. Le fond et la forme se recoupent alors. Pour réaliser Canadian West, Marley Hutchinson a également sillonné le continent nord-américain en ayant à l’esprit les « les classiques photographiques » du 20e siècle. Les zones rurales reculées et les villes dépeuplées sont dépeintes dans des noir et blanc marqués. Les portraits laissent entrevoir des fragments identités, des émotions saisies sur le vif, sans artifices.

Le vague à l’âme se distille tout autant dans Américaines Solitudes de Jean-Luc Bertini. « Arrivé à la moitié du projet, j’ai su, à l’instar d’un Robert Frank, que ma série porterait aussi sur les Américain·es. Mais ce serait mes Américain·es. Celles et ceux que j’avais vu·es, ou cru voir. À partir de ce moment-là, je n’ai pas eu d’autre ambition que celle-ci », nous a-t-il confié par le passé. En couleur cette fois-ci, le photographe montre un pays habité par la solitude, où les paradoxes sont poussés à leur paroxysme. Faisant fi des fantasmes, la vie ordinaire se détache finalement des clichés. Dans un autre genre, Antoni Benavente Barbero est à l’origine d’un corpus de beautés ignorées, empreintes de mélancolie. Les tirages de Robert Frank lui inspirent « des carnets de voyage intenses, authentiques et autobiographiques ». Ces trois adjectifs correspondent aussi bien à ses poésies visuelles dont les structures épurées et grenues confèrent une profondeur particulière. « J’aime à croire que les ressources esthétiques du noir et blanc me rapprochent de l’esprit des choses, de ce qu’elles sont véritablement », indiquait-il. Quelles que soient les approches adoptées, les références à celles et ceux qui ont marqué le 8e art créent ainsi un système de résonances qui, par sa richesse, concède d’autant plus d’épaisseur aux images.

maison isolée
© Antoni Benavente Barbero
© Arno Brignon / Signatures
homme assis seul à une table
© Jean-Luc Bertini
À lire aussi
Us : Le road trip d’Arno Brignon au cœur d’un « territoire de l’absence »
© Arno Brignon / Signatures
Us : Le road trip d’Arno Brignon au cœur d’un « territoire de l’absence »
À Toulouse, au cœur de la Galerie du Château d’Eau, Arno Brignon dévoile les images de Us, un road trip photographique au cœur de…
01 février 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Road trip canadien : un autre visage du Grand Nord
Road trip canadien : un autre visage du Grand Nord
Pour réaliser Canadian West, le photographe Marley Hutchinson a entrepris un road trip solitaire. Un voyage de deux semaines duquel il…
12 avril 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les solitudes secrètes du rêve américain
Les solitudes secrètes du rêve américain
Avec Américaines Solitudes, le photographe français Jean-Luc Bertini dresse un portrait singulier de ce qu’il nomme « ses Américains »….
13 avril 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
La nature mélancolique d'Antoni Benavente Barbero
La nature mélancolique d’Antoni Benavente Barbero
À travers ses clichés monochromes, le photographe espagnol Antoni Benavente Barbero dépeint une nature sauvage, empreinte d’une…
04 mai 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
François Prost : cartographie japonaise des temples de l'amour
Love Hotel © François Prost
François Prost : cartographie japonaise des temples de l’amour
François Prost décline une collection photographique de façades kitsch et extravagantes des love hotels, lieux de plaisir charnel...
05 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #496 : avec style
© Amisha Gurbani / Instagram
La sélection Instagram #496 : avec style
À l’occasion de la Fashion Week — et de la sortie prochaine en kiosque de Fisheye #70 dédié à la photographie de mode —, notre...
04 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Dennis Morris : une photographie pour montrer sa réussite
Jeune homme au téléphone, vivant le rêve © Dennis Morris
Dans l’œil de Dennis Morris : une photographie pour montrer sa réussite
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Dennis Morris, artiste dont le grand œuvre est actuellement présenté à la Maison...
03 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #534 : Victoria Philippe et Lucas Trochet
© Victoria Philippe
Les coups de cœur #534 : Victoria Philippe et Lucas Trochet
Victoria Philippe et Lucas Trochet, nos coups de cœur de la semaine, s’adonnent à une pratique documentaire. La première a suivi une...
03 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Fisheye x La Poste : les noms des trois lauréats viennent d’être révélés !
© Alexis Barbe
Fisheye x La Poste : les noms des trois lauréats viennent d’être révélés !
La Poste vient de révéler les noms des trois lauréats de son grand concours. Celui-ci invitait les photographes à immortaliser leur...
05 mars 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
François Prost : cartographie japonaise des temples de l'amour
Love Hotel © François Prost
François Prost : cartographie japonaise des temples de l’amour
François Prost décline une collection photographique de façades kitsch et extravagantes des love hotels, lieux de plaisir charnel...
05 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sebastião Salgado, cinquante ans de photographie humaniste
© Sebastião Salgado
Sebastião Salgado, cinquante ans de photographie humaniste
Du 1er mars au 1er juin, Les Franciscaines de Deauville présentent une exposition sur Sebastião Salgado en puisant dans les archives de...
04 mars 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #496 : avec style
© Amisha Gurbani / Instagram
La sélection Instagram #496 : avec style
À l’occasion de la Fashion Week — et de la sortie prochaine en kiosque de Fisheye #70 dédié à la photographie de mode —, notre...
04 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger