Guillaume Hutin et Ali Beşikçi, nos coups de cœur de la semaine, ont au centre de leur pratique la notion de dialogue. Si le premier fait parler ses images, ouvertes à tout récit, entre elles, le second interroge la façon dont notre perception façonne le monde.
Guillaume Hutin
Pour Guillaume Hutin, l’image se présente « comme un mirage de l’esprit ». Elle n’a pas pour but de reproduire le réel, mais de saisir et de traduire visuellement la sensation éprouvée face à lui. Des paysages de nature, des vagues faisant danser les algues, des visages imperceptibles ou des fragments de corps-sculptures parsèment l’univers de l’artiste. Son utilisation du flou et sa manipulation des couleurs tirent ses clichés tantôt vers l’abstraction, tantôt vers le surréel. La photographie se fait ainsi seuil entre le monde et la façon dont il peut être perçu.
La déformation et l’altération de l’image occupent une place importante dans la production de l’artiste installé entre Paris et l’est de la France. « C’est une manière d’habiter un peu plus encore l’endroit où mes yeux se sont arrêtés », explique-t-il. Parfois, le hasard provoque lui-même la transformation. En atteste Incidens, série de photos brûlées accidentellement par la lumière en raison du dysfonctionnement du rideau de l’appareil. Un heureux imprévu, la surexposition « ne masquant pas le réel, mais le révélant autrement », d’après le plasticien. Quête d’un dialogue entre soi et le monde, son œuvre se propose d’en matérialiser les échanges.
Ali Beşikçi
Les clichés d’Ali Beşikçi contiennent en leur sein un hors-champ imaginaire, une forme d’épaisseur narrative. Photographe et éditeur originaire d’Istanbul résidant actuellement à Rome, il s’est d’abord intéressé au cinéma avant de se tourner vers l’image fixe. Mais son premier penchant pour le 7e art a tôt fait de le rattraper : ne pouvant se résoudre à isoler ses photos les unes des autres, l’artiste s’emploie à les assembler et les réassembler, créant à travers ce montage – qui trouve son support dans l’objet du livre – un dialogue, une histoire. Celle-ci ne possède ni début, ni fin, rejette la succession linéaire d’évènements, mais en suggère l’arrivée. Finalement, ce qui intéresse Ali Beşikçi est cet entre-deux survenant avant ou après l’action, l’ambiguïté de l’instant.
Cherchant à produire des œuvres « qui dépassent leur déclaration initiale, donnent naissance à de nouveaux sens […] et s’appuient sur le réel tout en créant leur propre réalité », il accorde aux images et à leur interprétation une grande liberté. En les liant entre elles, le plasticien offre aux photographies l’autonomie de leur propre récit. Il se met ainsi à l’écoute de ses clichés plutôt qu’il ne les force à exprimer une chose précise. Son projet intitulé Masumiyet incarne particulièrement cette démarche. Dans un premier temps, la série lui a semblé aborder le thème de l’innocence. En réalité, elle en a évoqué tour à tour l’absence, le deuil puis la quête. Chez Ali Beşikçi, les images parlent toujours, mais jamais ne figent leurs discours.