« En procédant de la sorte, j’ai tenté de représenter à la fois la violente puissance du feu à cette échelle et la peur et la colère qui furent miennes lors de cet événement. »
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle revient sur un diptyque de sa série A Lost Place, qui cristallise ce qu’elle a ressenti lors des incendies qui ont ravagé son Australie natale en 2019 et en 2020.
A Lost Place résulte de cinq années de travail. Ce temps long a pris la forme d’une méditation nécessaire qui a permis à Aletheia Casey, qui signe ce projet, de matérialiser des souvenirs traumatiques. De fait, les feux qui ont ravagé l’Australie ces dernières années la hantent encore. Les réminiscences du passé se heurtent aux inquiétudes du présent. Dans cette idée, cette série expérimentale combine deux corpus : l’un fait de clichés réalisés dans divers musées zoologiques du Royaume-Uni, où elle réside aujourd’hui, l’autre d’images de paysages immortalisés lors d’un séjour sur sa terre natale. Ainsi, deux temporalités et autant de zones géographiques se font face. Sans jamais montrer les flammes, la photographe nous plonge dans une ambiance singulière, portée par des couleurs vibrantes et marquées, qui interroge l’histoire de son pays. Pour Fisheye, elle nous explique comment elle a conçu l’un de ses diptyques contrastés. Sur un fond noir, une chauve-souris conservée dans du formol côtoie ici la sombre silhouette d’un arbre effeuillé afin de traduire l’horreur éprouvée.
Représenter la puissance du feu
« Les deux images de ce diptyque sont tirées de la série A Lost Place et dépeignent l’horreur et le sentiment de dévastation que j’ai ressentis face à la perte de terres et de vies animales lors des incendies qui sont survenus dans mon pays d’origine, l’Australie, en 2019 et 2020. L’image de gauche, qui montre une chauve-souris, a été prise avec mon appareil photo grand format au Grant Museum of Zoology, à Londres. J’ai tiré le négatif à la main dans une chambre noire couleur, et j’ai volontairement ajusté la filtration des nuances pour représenter le rouge des feux. Celle de droite a également été réalisée à l’aide d’un appareil grand format, mais cette fois en Australie, dans les environs de ma maison en Nouvelle-Galles du Sud. J’ai imprimé cette image, puis je l’ai peinte à l’huile et à l’encre, de telle sorte à lui ôter sa qualité paisible d’origine. En procédant de la sorte, j’ai tenté de représenter à la fois la violente puissance du feu à cette échelle et la peur et la colère qui furent miennes lors de cet événement. L’œuvre rapproche le passé colonial de ce territoire et son avenir climatique précaire. Elle soulève ainsi la question de savoir comment le colonialisme et le changement climatique sont liés. »