« J’ai découvert que le cœur de cette gigantesque entreprise n’est constitué que d’une petite poignée d’aristocrates richissimes qui s’acharnent à mener une politique eugéniste et veulent atteindre une position de “domination totale“. »
Cette semaine, plongée dans l’œil de J.A. Young. Aussi fasciné·e que terrifié·e par les horreurs que le gouvernement américain dissimule à ses citoyen·nes, l’artiste manipule des images d’archives pour susciter une sensation d’effroi et mettre en scène la dystopie dans laquelle nous vivons. Pour Fisheye, iel revient sur un étrange portrait, tiré de sa série Of Fire, Far Shining.
« Pour réaliser Of Fire, Far Shining, je me suis plongé·e dans les origines de l’État de sécurité nationale américain : cette bureaucratie militaire et de renseignement sournoise et hyperviolente, qui surveille les citoyen·es américain·es – comme du monde entier. Ce qui m’a particulièrement choqué·e, lors de mes recherches, c’est lorsque j’ai découvert que le cœur de cette gigantesque entreprise n’est constitué que d’une petite poignée de personnes richissimes qui s’acharnent à mener une politique eugéniste et veulent atteindre une position de “domination totale”.
Cette image est un portrait composite de deux patriarches clés de ces familles : Allen Dulles et Prescott Bush. Allen Dulles a été le premier directeur civil de la CIA et a occupé ce poste plus longtemps que quiconque dans l’histoire des États-Unis. Au cours de son mandat, Dulles a orchestré et participé à de nombreuses atrocités commises par le gouvernement américain, notamment : l’opération Ajax (un coup d’État de la CIA contre le Premier ministre iranien démocratiquement élu), l’opération Paperclip (un programme secret des États-Unis visant à sauver, réinstaller, récompenser et recruter des dizaines de criminels de guerre nazis de haut rang à la fin de la guerre froide), l’invasion de la Baie des Cochons (la tentative ratée de la CIA de renverser Fidel Castro à Cuba), ainsi que MK-Ultra (le programme secret de la CIA qui testait des méthodes de torture psychologique, chimique, biologique et radiologique sur des citoyen·es défavorisé·es sans leur consentement).
Prescott Bush, père de George H.W. Bush et grand-père de George W. Bush, était un important dirigeant financier et un éminent sénateur républicain de 1962 à 1963. À l’instar de Dulles, Prescott Bush a un passé sordide de comportements méprisables : il a contribué à de multiples organisations qui soutenaient le mouvement eugéniste du 20e siècle, notamment l’American Eugenics Society. Il a apporté un soutien financier important aux industriels nazis allemands pendant la Seconde Guerre mondiale en tant qu’associé de la banque Brown Brothers Harriman. Il a aussi été directeur et actionnaire de l’Union Banking Corporation, qui a été saisie par le gouvernement américain en 1942 en raison de ses liens avec le patron de l’acier SS nazi Fritz Thyssen et sa compagnie maritime Hambourg-Amerika.
À l’origine, j’avais adapté quelques portraits d’archives de Dulles et de Bush, et je les avais mis de côté en vue d’un séquençage futur. Au fil du temps, cependant, ils ne se sont jamais imposés à moi. Ils semblaient manquer d’un élément essentiel qui les aurait rendus moins lisses. Un soir, alors que j’expérimentais avec un caisson lumineux, j’ai remarqué que j’avais imprimé ces deux portraits avec des dimensions similaires. Après avoir placé les tirages l’un sur l’autre, je les ai légèrement inclinés de manière à ce que certains aspects de chaque visage soient déformés. Dans l’image finale, aucun des deux visages ne peut être vu précisément, et aucun n’est complètement obscurci. Au contraire, ils semblent alterner en fonction du point focal, chacun masquant l’autre. À l’image de l’État national de sécurité lui-même, le visage composite est une hydre anonyme : un visage qui se confond avec un autre, qui menace toujours d’apparaître, mais qui ne veut jamais se révéler entièrement. »