« J’opère alors un travail photographique psychanalytique, inspiré de l’écriture automatique d’André Breton. Les visions émergent en cadavres exquis, morcelées, désordonnées. Je les retranscris, je les croque, puis nous nous amusons à réaliser une constellation familiale sous la forme de mises en scène surréalistes dont je suis la seule cheffe d’orchestre. »
Cette semaine, plongée dans l’œil de Sara Imloul, autrice de Das Schloss. Dans cette série, à découvrir en ce moment même à Deauville dans le cadre du festival Planches Contact, la photographe revient sur la grande maison familiale qui a abrité une partie de son enfance. Pour Fisheye, elle nous parle d’une de ces images pleines d’histoire, intitulée « Les Sœurs tableaux ».
« J’ai pris le train vers l’Est, vers la campagne de l’enfance. J’avais mon idée, bien gravée sous les paupières, et mes croquis fourrés dans la poche. J’avais rendez-vous avec Elles. L’image devait advenir, il était temps. Je l’appellerai “Les Sœurs tableaux”.
Nous sommes en 2014, cela fait plusieurs mois que je photographie ma famille à huis clos, dans la maison qui nous a vues grandir : ma génération, celle de ma mère et celle de ma grand-mère. C’est une maison chargée, un “château” perché sur une butte au milieu de grands arbres, comme un mirage.
Famille. Retrouvailles mijotées depuis des semaines. Bouillonnement. Je ne ferai pas de portraits, pas de leurs identités propres, privées, mais pour autant je n’épargnerai rien des projections que je fais sur chaque membre, mais aussi à travers chaque membre. J’opère alors un travail photographique psychanalytique, inspiré de l’écriture automatique d’André Breton. Les visions émergent en cadavres exquis, morcelées, désordonnées. Je les retranscris, je les croque, puis nous nous amusons à réaliser une constellation familiale sous la forme de mises en scène surréalistes dont je suis la seule cheffe d’orchestre.
On ouvre les armoires, on fait des essayages, on parle du passé, les souvenirs se révèlent en rafale. Dans les miroirs nous brouillons les pistes, c’est un jeu de masques, un jeu de rôles, où les pathologies sont personnifiées, théâtralisées, symbolisées dans le cadre domestique de nos chambres. Mes complices sont à la fois objets et sujets de mes photographies, mais de façon fractionnée.
Je m’explique, sur cette image, “Les Sœurs tableaux” représente “l’œuvre” de mon grand-père. Mon grand-père, le peintre à ses heures perdues, dont j’ai symboliquement utilisé un de ces loisirs préférés pour, en réalité, parler de quelque chose de bien plus profond.
C’est Sa création que l’on peut voir avec ce collage, cette composition au mur, et c’est à la fois Lui. Sa représentation, dédoublée, posant par deux fois devant son ouvrage, pinceau à la main, devenant lui-même tableaux avec ces têtes qui se confondent avec le fond.
Sauf que, sur cette photographie, ce n’est pas mon grand-père qui pose réellement, mais ses deux filles. Ma mère et sa sœur, habillées des vêtements de leur père. C’est alors que la constellation prend forme et que la catharsis a lieu, entre figurant et figuré, dans nos yeux ébahis. »