Minimaliste et monochrome, la série Dès l’aube se déploie dans une petite île norvégienne. Un territoire régi par les mouvances de la nature qui inspire à la photographe Jingyue Zhang un récit sensible : celui d’une pierre immobile au milieu d’un écosystème singulier.
Sur le rivage, les vagues scintillent, l’écume trace des arabesques sur le sable mouillé. Dans la forêt les arbres poussent de travers, comme entravés par le vent. Plus loin, au sol, une flaque devient miroir, illuminée par la lueur d’un soleil hivernal. Partout, les textures se rencontrent, dans un nuancier de noir, de blanc et de gris aux frontières de l’abstraction. Les choses deviennent matières, les éléments les érodent jusqu’à révéler leur forme la plus épurée. C’est au cœur de ce territoire fantastique que Jingyue Zhang a imaginé Dès l’aube, un projet monochrome réalisé dans le cadre d’une résidence au Musée Sunnhordland, en Norvège. « Celui-ci est situé sur une petite île qui a son propre écosystème, explique-t-elle. Un jour, je me suis assise face à la mer, pendant longtemps. Je me suis alors demandé : que pourrais-je ressentir au cœur de cet environnement, si je restais immobile, comme une pierre ? J’ai donc construit ma série sur cette question. »
D’origine chinoise, l’artiste a grandi au Sichuan, au sud-ouest du pays, dans un territoire bordé par les montagnes et les forêts. Après avoir étudié la photographie à Pékin, elle poursuit ses études aux Beaux-Arts de Nîmes, où elle découvre l’importance de la porosité entre les médiums. « Mes projets commencent souvent par de la curiosité, un questionnement sur un sujet. Au cours de l’exploration, je choisis la méthode photographique qui me semble la plus adaptée. Ainsi mes projets prennent souvent des formes très différentes », raconte-t-elle. Du photogramme au documentaire, Jingyue Zhang ne cesse d’interroger les limites de la représentation, de raconter sans s’enfermer dans une narration délimitée. Libérée de tout carcan, elle révèle les traces, les « interactions entre les existences » qui sculptent, déforment et reconstruisent le monde qui l’entoure.
L’importance du vivant
Et c’est au cœur de cette osmose que naît Dès l’aube. Inspirée par le caractère immortel des roches qui se révèlent et disparaissent à chaque marée, la photographe choisit d’observer, tous les jours et d’un même point, l’espace qu’elle aperçoit. « C’était en octobre, une période où le climat changeait irrégulièrement, et sans arrêt. En une minute, le temps passait du soleil à la tempête. La seule chose qui ne changeait pas, c’était le bruit du vent », se souvient-elle. Marquée par ce déferlement, Jingyue Zhang prend conscience de « la beauté et de la cruauté de la nature ». Une impulsion de vie impérieuse qu’elle découvre chez les êtres vivants comme les végétaux. Débute alors un rituel, fait de répétitions et de contradictions : la taille de l’île – minuscule – lui donne l’impression de revivre continuellement la même journée. Pourtant, l’instabilité météorologique fait de chaque instant une exception, une étrangeté. Partout, les bourrasques tordent, mettent à mal, et les rayons solaires subliment – plus calmes. Un chaos organisé que Jingyue Zhang interprète comme « un mouvement perpétuel qui se manifeste à travers le paysage ».
Pierre, elle devient, figée dans son rôle d’observatrice. Inébranlable, elle saisit le tumulte et la beauté d’un environnement resté sauvage malgré tout. Dans ses images – à quelques exceptions près – l’homme demeure absent. Figure éphémère dans le long cycle de la vie, il s’efface, pour laisser parler la terre. À sa place, ce sont les rochers, les gouttes d’eau, les cristaux enneigés qui deviennent les protagonistes d’un récit que le noir et blanc mat rend brut, profond. « Cette série est un mélange d’observation et d’imagination. Les nuances de gris permettent aux images de se distinguer du réel », ajoute la photographe. Et, dans cet univers à part où le familier se teinte d’étrangeté, elle parvient à suggérer plus qu’à représenter l’importance du vivant – puisque celui-ci se déploie en harmonie avec le territoire qu’il occupe. « Lorsque la marée descendait, on voyait des roches dénudées, mais en s’approchant, on pouvait découvrir que de nombreuses vies y croissaient. Cette plage de roches était leur foyer, et j’ai voulu l’explorer », confie-t-elle.