Dès l’aube : Jingyue Zhang observe la beauté cruelle de la nature

09 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dès l’aube : Jingyue Zhang observe la beauté cruelle de la nature
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang

Minimaliste et monochrome, la série Dès l’aube se déploie dans une petite île norvégienne. Un territoire régi par les mouvances de la nature qui inspire à la photographe Jingyue Zhang un récit sensible : celui d’une pierre immobile au milieu d’un écosystème singulier.

Sur le rivage, les vagues scintillent, l’écume trace des arabesques sur le sable mouillé. Dans la forêt les arbres poussent de travers, comme entravés par le vent. Plus loin, au sol, une flaque devient miroir, illuminée par la lueur d’un soleil hivernal. Partout, les textures se rencontrent, dans un nuancier de noir, de blanc et de gris aux frontières de l’abstraction. Les choses deviennent matières, les éléments les érodent jusqu’à révéler leur forme la plus épurée. C’est au cœur de ce territoire fantastique que Jingyue Zhang a imaginé Dès l’aube, un projet monochrome réalisé dans le cadre d’une résidence au Musée Sunnhordland, en Norvège. « Celui-ci est situé sur une petite île qui a son propre écosystème, explique-t-elle. Un jour, je me suis assise face à la mer, pendant longtemps. Je me suis alors demandé : que pourrais-je ressentir au cœur de cet environnement, si je restais immobile, comme une pierre ? J’ai donc construit ma série sur cette question. »

D’origine chinoise, l’artiste a grandi au Sichuan, au sud-ouest du pays, dans un territoire bordé par les montagnes et les forêts. Après avoir étudié la photographie à Pékin, elle poursuit ses études aux Beaux-Arts de Nîmes, où elle découvre l’importance de la porosité entre les médiums. « Mes projets commencent souvent par de la curiosité, un questionnement sur un sujet. Au cours de l’exploration, je choisis la méthode photographique qui me semble la plus adaptée. Ainsi mes projets prennent souvent des formes très différentes », raconte-t-elle. Du photogramme au documentaire, Jingyue Zhang ne cesse d’interroger les limites de la représentation, de raconter sans s’enfermer dans une narration délimitée. Libérée de tout carcan, elle révèle les traces, les « interactions entre les existences » qui sculptent, déforment et reconstruisent le monde qui l’entoure.

© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang

L’importance du vivant

Et c’est au cœur de cette osmose que naît Dès l’aube. Inspirée par le caractère immortel des roches qui se révèlent et disparaissent à chaque marée, la photographe choisit d’observer, tous les jours et d’un même point, l’espace qu’elle aperçoit. « C’était en octobre, une période où le climat changeait irrégulièrement, et sans arrêt. En une minute, le temps passait du soleil à la tempête. La seule chose qui ne changeait pas, c’était le bruit du vent », se souvient-elle. Marquée par ce déferlement, Jingyue Zhang prend conscience de « la beauté et de la cruauté de la nature ». Une impulsion de vie impérieuse qu’elle découvre chez les êtres vivants comme les végétaux. Débute alors un rituel, fait de répétitions et de contradictions : la taille de l’île – minuscule – lui donne l’impression de revivre continuellement la même journée. Pourtant, l’instabilité météorologique fait de chaque instant une exception, une étrangeté. Partout, les bourrasques tordent, mettent à mal, et les rayons solaires subliment – plus calmes. Un chaos organisé que Jingyue Zhang interprète comme « un mouvement perpétuel qui se manifeste à travers le paysage ».

Pierre, elle devient, figée dans son rôle d’observatrice. Inébranlable, elle saisit le tumulte et la beauté d’un environnement resté sauvage malgré tout. Dans ses images – à quelques exceptions près – l’homme demeure absent. Figure éphémère dans le long cycle de la vie, il s’efface, pour laisser parler la terre. À sa place, ce sont les rochers, les gouttes d’eau, les cristaux enneigés qui deviennent les protagonistes d’un récit que le noir et blanc mat rend brut, profond. « Cette série est un mélange d’observation et d’imagination. Les nuances de gris permettent aux images de se distinguer du réel », ajoute la photographe. Et, dans cet univers à part où le familier se teinte d’étrangeté, elle parvient à suggérer plus qu’à représenter l’importance du vivant – puisque celui-ci se déploie en harmonie avec le territoire qu’il occupe. « Lorsque la marée descendait, on voyait des roches dénudées, mais en s’approchant, on pouvait découvrir que de nombreuses vies y croissaient. Cette plage de roches était leur foyer, et j’ai voulu l’explorer », confie-t-elle.

© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
© Jingyue Zhang
À lire aussi
An Old Tale : Siouzie Albiach saisit une nature personnifiée
© Siouzie Albiach
An Old Tale : Siouzie Albiach saisit une nature personnifiée
À travers An Old Tale, Siouzie Albiach nous emporte dans un voyage mystique au cœur de territoires intimes. Un périple nourri par…
07 décembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Chaumont-Photo-sur-Loire : l'émerveillement de nature
© Loredana Nemes
Chaumont-Photo-sur-Loire : l’émerveillement de nature
Comme à l’accoutumée, Chaumont-Photo-sur-Loire investit le domaine qui inspire son nom le temps de la saison froide. Six photographes…
28 novembre 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet

Explorez
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
© Chiara Indelicato, L'archipel, Bourses Ronan Guillou, 2024
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
Du 20 septembre au 30 octobre 2025, The Eyes inaugure, en Occitanie, la première édition de FLOW, un parcours inédit consacré à la...
27 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
© Chiara Indelicato, Pelle di Lava
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
Exposée à la galerie Anne Clergue, à Arles, jusqu’au 6 septembre 2025, Pelle di Lava, le livre de Chiara Indelicato paru cette année chez...
09 août 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
© Valentine de Villemeur
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Valentine de Villemeur. La photographe a consigné le parcours de sa procréation...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 25 août 2025 : Palestine, puissance des femmes et fin de l'été
La mer dévore les tentes des déplacé·es, Bande de Gaza, Palestine, 2024 © Moayed Abu Ammouna
Les images de la semaine du 25 août 2025 : Palestine, puissance des femmes et fin de l’été
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes publiés sur les pages de Fisheye s’emparent de divers sujets. Ils et elles...
31 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina