El grupo de Cali : des vampires en Colombie

03 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
El grupo de Cali : des vampires en Colombie
Karen Lamassonne. Sueño húmedo I, photographie, crayon, 1987. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Fernell Franco. Série Prostitutas, 1970-1972. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Fernell Franco

Sous le commissariat d’Andrés Matute Echeverri et María Wills Londoño – lauréat·es de la bourse de recherches curatoriale des Rencontres d’Arles – l’exposition Les vampires n’ont pas peur des miroirs rend hommage au Groupe de Cali. Un gang d’artistes revendiquant la culture gothique pour donner à voir un visage nuancé de la Colombie.

« Notre intérêt pour El Grupo de Cali vient de nos recherches sur cette période. Celles d’Andrés sur le travail de Karen Lamassonne, et les miennes sur l’archive de Fernall Franco, avec laquelle j’ai travaillé lors d’une exposition organisée par la Fondation Cartier. En organisant plusieurs solo shows, on s’est rendu compte que ces artistes n’avaient jamais été exposé·es ensemble. Un tel événement aurait pourtant témoigné de leurs points communs et de la manière dont iels s’inspirent, en tant que collectif », explique María Wills Londoño. Né dans les années 1970 et 1980 en Colombie, le « gang créatif » s’organise d’abord autour de trois figures : l’écrivain Andrés Caicedo et les cinéastes Luis Ospina et Carlos Mayolo. Influencés par le photoréalisme du cinéma et divers médiums artistiques – le dessin, la peinture, l’aquarelle – ils réunissent petit à petit un groupe d’artistes s’affranchissant des codes classiques pour insuffler à leurs créations une atmosphère plus sombre, le 8e art comme fil rouge de leur pratique. Un univers violent, tropical, nourri par la culture des stupéfiants, l’humidité étouffante de la Colombie et le sous-développement de ses villes périphériques – telles que Cali – qui s’enlisent dans une lenteur en marge du progrès purement citadin. Œuvres fondatrices du groupe, le documentaire critique Agarrando Pueblo et le film Pura Sangre de Luis Ospina disent d’ailleurs la misère avec un cynisme et un goût pour l’esthétisme qui deviendront les marqueurs de leurs membres. Dans un imaginaire obscur, « la figure du vampire y est utilisée comme une métaphore de l’exploitation de classe, de l’emprise des riches sur les pauvres », ajoute la commissaire d’exposition.

María Isabel Rueda. Série Vampiros en La Sabana. 2003. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Eduardo La Rata Carvajal. Photographie prise lors du tournage du film Agarrando Pueblo de Luis Ospina et Carlos Mayolo, 1977. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Eduardo La Rata Carvajal. Photographie prise lors du tournage du film Pura Sangre de Luis Ospina, 1982. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Un gothique inspiré par la Colombie

C’est pourtant une autre dimension de cette figure horrifique que les commissaires d’exposition entendent mettre en avant à travers Les vampires n’ont pas peur des miroirs : « Nous voulions donner à voir une appropriation “saine” du vampirisme. Par ce terme, nous entendons cette idée de travailler comme un collectif, de s’inspirer et s’approprier les intérêts des un·es et des autres pour créer », précise María Wills Londoño. Ainsi, d’une image à l’autre, les thématiques infusent, se diffusent et se nourrissent dans une unité visuelle intrigante. C’est dans La Mansión de Araucaima, texte écrit par Alvaro Mútis, que naît la notion de « gothique tropical ». « Il souhaitait créer un gothique inspiré par la Colombie. Cali est une ville tropicale, marquée par une culture underground qui s’inspire du cinéma d’horreur, de la musique, de la pop culture. À cela, s’ajoutent cette sensation de chaude humidité, et ses villes en ruines, appauvries par le trafic de drogue », raconte la curatrice. Dans la moiteur latine, les corps transpirent, les noirs des vêtements se fondent dans l’obscurité nocturne et les monochromes règnent, à l’exception de quelques touches de rouge.

C’est donc un univers dans sa globalité que les commissaires d’exposition présentent dans l’Église des Trinitaires. Faisant dialoguer les artistes Cali de la première heure – Fernell Franco, Karen Lamassonne, Carlos Mayolo, Oscar Muñoz, Luis Ospina, Ever Astudillo et Eduardo Carvajal – à des autrices plus jeunes, elles-mêmes fascinées par le groupe – María Isabel Rueda, Ana María Millán et Monica Restrepo –, iels entendent souligner des esthétiques et engagements similaires. « Arles est l’espace parfait pour une telle exposition. Cette idée de s’imprégner du mythe vampirique convient parfaitement au format des Rencontres, et aux lieux qu’elles transforment – comme d’anciennes églises, par exemple. On aime beaucoup l’idée de ces ruines, cette décadence des espaces abandonnés qui accueillent cet art. Les textures y sont vraiment similaires, ça fonctionne très bien ! », se réjouit María Wills Londoño. Déambulation dans un espace étrangement agencé, presque vide, où se croisent violence, humour, loufoque et chaleur, l’exposition permet une immersion dans ce gothique atypique, où les codes esthétiques se heurtent à un soleil ardent pour mieux mettre en lumière la lutte des classes, la décadence et l’importance de l’imaginaire qui les illustre. Des enjeux politico-artistiques qui évoluent au fil des années, pour aller jusqu’à aborder, à travers l’œuvre des « disciples » du Grupo de Cali, la notion plus large de « porn misery ».

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