C’est à Montauk, dans l’État de New York, que David Fitt réalise Empty Hamptons. Une série inspirée par un territoire ancré dans une nostalgie latente et une solitude inspirante.
La plage et le sable mouillé par l’averse soudaine, les rues bordées d’arbres qui filtrent les lueurs d’un soleil hivernal, et les rideaux blancs d’un hôtel anonyme qui les dissimulent pour faire durer, encore un peu, la nuit salvatrice. Les natures mortes contemporaines laissées derrière soi en sortant d’un diner, et les cadavres de canettes qui remplissent les poubelles, la silhouette d’un phare, projetant son ombre sur les roseaux… Et pas une seule présence humaine. C’est dans les Hamptons que David Fitt a commencé à composer cette errance photographique solitaire, après un voyage de plusieurs mois à New York, en 2013. « J’espérais m’y faire des contacts et obtenir un visa, mais ça n’a pas été fructueux. Une ou deux semaines avant mon retour à Paris, avec ma copine de l’époque nous sommes allé·es passer le week-end à Montauk, pour faire comme dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Si je ne connaissais pas cette région que l’on surnomme le “Deauville américain” – je n’ai d’ailleurs jamais mis les pieds à Deauville non plus – j’ai quand même été choqué de me retrouver dans un coin aussi fantomatique », se remémore l’auteur.
C’est en 2008, au cours d’une période difficile « entre perte de repères, absence de perspective professionnelle et découverte de [s]a propre mortalité », que David Fitt débute son exploration du 8e art. Alors en proie à de nombreuses attaques de panique, il trouve dans le médium photographique une échappatoire salvatrice. Un moyen de faire le vide dans sa tête pour parvenir à raconter des choses, à projeter plutôt qu’internaliser. Adepte du mélange des genres et des écritures – de la mode à la street photography en passant par le documentaire et les concerts rock – il associe le monde de l’image à une liberté sans limites, lui permettant de développer des récits de manière instinctive, de puiser dans l’essence d’un territoire, d’un instant, pour mieux s’y abandonner et créer, sans réserve. Une démarche qui hante sa découverte du hameau de l’État new-yorkais : « Je n’avais pas prévu que ce serait aussi mort en plein hiver. Tout était très soigné, entretenu, mais vide. Cette confrontation m’a marqué, j’ai photographié dans tous les sens et composé une chouette série. Puis, en 2022, j’ai eu envie d’y retourner pour poursuivre le projet… Et surtout, d’utiliser sa désolation pour me confronter à moi-même », confie-t-il.
Un décor où se projeter
Pour la deuxième fois, le photographe s’immerge dans l’étrange solitude de Montauk. Une traversée entre deux temporalités, où les fantômes du passé viennent peupler le vide du présent. « Dès le premier voyage, mon expérience avait été teintée de mélancolie. C’était l’un de mes derniers moments aux États-Unis, et ma copine et moi savions que nous allions nous séparer. Vivre cela dans une ville morte participait à créer une sensation palpable de fin, dans une région qui donne l’impression de se situer au bout du monde : avec l’océan de part et d’autre comme unique horizon », explique-t-il. Huit ans plus tard, si le Covid a poussé les New-Yorkais à déménager dans les Hamptons en quête d’une meilleure qualité de vie, la solitude demeure facile à atteindre. « Je traversais l’une des périodes les plus difficiles de ma vie, et tout en moi aspirait à fuir les gens plutôt que vouloir profiter de ce regain de popularité hors-saison », poursuit David Fitt.
Alors, dans ce décor connu de tous·tes, le long des bâtisses américaines rappelant les banlieues de notre imaginaire commun, face aux vagues glaciales, le vent soufflant à son visage, assourdissant l’écho du monde comme ses propres pensées, le photographe se lance dans le second chapitre de son projet. Des espaces publics aux intérieurs des chambres qu’il occupe, des selfies aux yeux rougis par les larmes aux textos révélant un mal être latent, il fait l’état d’une mélancolie profonde, portée par son environnement. « Les Hamptons ne sont au final qu’un décor où je me suis projeté », rappelle-t-il. Un décor aux lumières picturales, convoquant le génie de Stephen Shore et William Eggleston, comme la nostalgie cinématographique de Todd Hido. Guidé par les lueurs naturelles, les clairs-obscurs et la pénombre mystérieuse, David Fitt tisse, avec Empty Hamptons un récit profondément personnel, fait d’échos, de combats et d’affranchissements. Un va-et-vient entre tristesse et libération, nostalgie et acceptation que l’auteur souhaite universel. « J’évite d’être trop spécifique, pour que chacun·e puisse y trouver sa propre résonance plutôt que d’être limité·e par mes propos », affirme-t-il. Emporté·e par la puissance évocatrice du paysage photographié, il nous faut donc en fouler les routes pour nous perdre dans la mélancolie du dépaysement et, au cœur du périple, parvenir à nous (re)trouver.