Véritable journal chaotique et alternatif, Existential Boner documente la transition de son auteur, Taje. Un récit aussi intime qu’universel cherchant à offrir une représentation de choix à la communauté queer.
« C’est un espace que j’ai dû créer pour réfléchir à mon parcours en tant que personne trans. Pour mettre en lumière un type de représentation qu’il me manquait en grandissant. C’était quelque chose que je devais faire, et je l’ai entrepris de manière compulsive. Pourtant, je crois que ça m’aurait demandé plus d’énergie de ne pas le réaliser », déclare Mahalia Giotto – ou Taje. Se qualifiant « d’artiste utilisant le médium photographique », il fait d’Existential Boner une mosaïque chaotique croisant image de studio, snapshots, scans ou encore street photo. En argentique comme au numérique, il fige des micro-instants, imprime dans ses souvenirs des moments d’introspection, d’extase, de vulnérabilité ou de poésie urbaine, comme une manière de se montrer aux regardeur·ses tout en faisant le portrait d’une communauté. « Je ne crois pas avoir révélé quoi que ce soit de moi dans ce travail. Et même si je sais que c’est le cas, je n’avais aucun contrôle sur cette décision. Il y avait une sorte de sensation d’urgence dans cette réalisation, quelque chose que je devais sortir de moi, et c’est ainsi qu’elle est apparue », poursuit-il. Journal de bord, épopée personnelle, performance improvisée… Sans souhaiter ancrer son projet dans une catégorie quelconque, Taje nous invite au contraire à accepter le désordre, apprivoiser la confusion, et plonger dans un univers où la grâce côtoie le laid, où le doute rencontre la fierté. Une représentation pleine de nuances d’une existence ordinaire qui pourtant n’aspire qu’à être davantage incarnée.
Force, fierté et amour
Depuis l’enfance, l’artiste mène une guerre à son corps, au genre qu’on lui a assigné. « Je l’ai toujours regardé comme quelque chose qui n’était pas à moi. C’était une entité qui me permettait d’être présent dans cette vie, comme un réceptacle de chair pour mon âme, mais rien d’autre », raconte-t-il. En grandissant, il observe et note les changements qui s’opèrent sous ses yeux, tente de se transformer tant qu’il le peut, en dessinant sur sa peau, en s’épuisant au sport, en développant des troubles alimentaires. « Lorsque j’ai réalisé que j’étais trans, tout m’a paru limpide : j’essayais en fait de reprendre possession de mon corps. Aujourd’hui, je m’entends enfin bien avec lui, on ne se combat plus », assure-t-il.
Existential Boner est une histoire d’obsession, un besoin viscéral de documenter, de partager une évolution vers l’acceptation. Premières prises d’hormones, chirurgies esthétiques, autoportraits bruts, collages graphiques… Taje se révèle sous tous ses angles, expose sa silhouette, défie l’objectif dans une bataille longue, haletante, à l’issue victorieuse. Empruntant aux codes des réseaux sociaux, il travaille son image et multiplie les selfies pour composer l’archive de sa transformation. « Ayant pris l’habitude de scruter mon allure depuis toujours, j’ai vite compris la manière dont nous nous représentons sur internet. Si je suis conscient d’éditer mon image en ligne, je vois cela comme un jeu qu’il me faut jouer si je veux exister en tant qu’artiste », affirme Taje. Et au cœur de cette multitude de souvenirs entremêlés, l’auteur parvient à faire entendre sa voix, à ancrer son histoire dans un univers fait d’ébauches, de remises en question, d’incertitudes. Un univers où se rencontrent des tags inscrits sur un mur à l’aube, après une soirée arrosée et des glitchs surréalistes évoquant la dysmorphie dont souffrent souvent les personnes trans. Un univers sensible, et profondément humain. « Finalement, je perçois ce travail comme un manifeste qui célèbre l’identité queer avec force, fierté et amour », conclut-il.