Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la parole de son auteur·ice. Cette narration originale à travers une mosaïque d’images et un habillage sonore nous entraîne dans un parcours immersif aussi sensible que stimulant. Les trois films sélectionnés dans Fisheye #69 nous embarquent dans l’univers du fait divers.
Focus #61 – Anna Szkoda
À première vue, ces images, aussi douces que sibyllines pour l’essentiel, semblent sortir d’un conte de fées. Pourtant, l’histoire qui s’y cache est glaçante. Dans Sirius, Anna Szkoda revient sur l’affaire criminelle allemande du même nom qui, à la fin des années 1970, a fait couler beaucoup d’encre tant la réalité a dépassé la fiction. Pendant des années, un homme a fait croire à une jeune femme, tout juste rencontrée, qu’il venait de l’espace. Il a imaginé un monde de science-fiction servant de cadre à ses récits et autres observations philosophiques. Après avoir créé une dépendance émotionnelle chez sa victime, il lui a assuré qu’elle pourrait se rendre à son tour sur son étoile sous certaines conditions. En restituant des motifs de ce fait divers au travers de compositions empreintes de paradoxes, l’artiste et sociologue germano-polonaise met ainsi en avant le pouvoir de la narration. En contrepoint, elle interroge également la portée de la photographie, souvent considérée comme un vecteur de vérité.
Apolline Coëffet
Focus #26 – Luis Corzo
Une montagne au lever du soleil, une bouteille de Coca vide, une banlieue d’apparence paisible, un toboggan au bord d’une piscine… Et puis, une main au doigt manquant. Dans Pasaco, 1996, Luis Corzo relate son kidnapping. Alors qu’il avait six ans, sept hommes armés de pistolets sont entrés dans son garage pour les enlever, son père et lui. Les ravisseurs espéraient une rançon conséquente en échange de leur vie. Un mois et trois paiements plus tard, son père est relâché. Sa propre libération survient trois jours après. Des premiers instants dans la camionnette vers leur « prison » de fortune à sa confrontation avec le chef du gang à l’origine du crime, l’auteur accumule les preuves, sonde les archives, photographie les protagonistes de l’histoire, comme pour organiser sa propre mémoire. Dans un nuancier de couleurs pastel et de prises de vue à la précision scientifique, il révèle ainsi une série de péripéties haletantes, retraçant, en contrepoint, le chemin sinueux vers l’abolition de la peur – et l’émergence de la guérison.
Lou Tsatsas
Focus #29 – Téo Becher et Solal Israel
Rouge sanglant, bleu éblouissant, vert effacé. Ces couleurs surprenantes, fruit d’expérimentations réalisées à la chambre par le duo de photographes Téo Becher et Solal Israel, témoignent d’un événement peu commun. Le 2 septembre 2017, lors d’un festival à Azerailles, non loin de Nancy, une quinzaine de personnes sont touchées par la foudre, tandis qu’elles s’abritaient de l’orage sous une tonnelle placée au pied d’un arbre. Découvrant cette histoire via un podcast, les deux artistes partent à la recherche des survivant·es. « Le point de départ de ce projet, c’est une différenciation de terminologie. Quand on est foudroyé·e, on est frappé·e par la foudre et on en décède. Quand on est fulguré·e, on n’en décède pas », précisent les auteurs. L’enquête les mène chez Raphaëlle, Lilian, Jocelyn et Jean-Luc, que l’accident lie mais dont les symptômes diffèrent. Portraits, fougères, troncs brisés, paysages vaporeux et incertitudes jalonnent leur série. « On se disait que ce serait intéressant de pouvoir créer des images qui font plastiquement référence à l’événement », soutiennent-ils. Si la médecine et l’État, faute de moyens, semblent ignorer les conséquences pour ces rescapé·es, Téo Becher et Solal Israel voient leurs traumatismes et révèlent au monde leurs séquelles psychologiques.