Folk, voyage dans l’Angleterre ré-enchantée : portrait nuancé du druidisme

27 novembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
 Folk, voyage dans l’Angleterre ré-enchantée : portrait nuancé du druidisme
© Theo McInnes
tête auréolé
© Theo McInnes
pieds dans une foule
© Theo McInnes

Avec leur livre Folk, voyage dans l’Angleterre réenchantée, le journaliste Thomas Andrei et le photographe Theo McInnes traversent les renaissances du druidisme. Entre dérèglement climatique et marasme sociétal, la balade est aussi l’occasion de réinventer une approche documentaire, un équilibre délicat entre nécessité visuelle et narration.

De Wilmington dominé par son géant dessiné sur le sol depuis l’âge de bronze jusqu’au festival de Stroud, petite ville de 10 000 habitant·es à l’ouest de l’Angleterre, en passant par Glastonbury, Mecque du druidisme anglo-celte, les deux auteurs ont multiplié les rencontres. Très vite les a priori tombent, les clichés disparaissent. « Ce sont des gens qui ne veulent pas être enfermés dans des cases. C’est très individuel, comme croyance, dans le bon sens du terme. Dave le barde (évoqué dans le premier chapitre du livre, ndlr) m’a raconté que si tu demandes à mille druide·sses ce qu’est le druidisme tu auras mille réponses différentes. Mais le but c’est d’être ensemble. Iels se traitent un peu toustes comme des enfants, comme des enfants qui ont souffert », explique Thomas Andrei, à l’origine du projet.

Rendre visible la magie

Plus qu’une foi, ou l’avènement d’une religion qui essaimerait partout en Europe, la photographie renseigne ici la pratique du culte. Une pratique aussi diverse que les collectifs qu’elle fait émerger. Alternent les portraits souvent en gros plan – détail des visages ou objets de rite – avec les paysages de collines où les participant·es se fondent dans un halo de mystère pré-chrétien.

Depuis 2019, et le début de leurs collaborations, Thomas Andrei et Théo McInnes se connaissent bien : ils travaillent à l’œil, à l’impression, de manière quasi symbiotique. Dans leurs projets pour Society ils montrent l’Angleterre au plus cru. « Ici, il s’agissait de faire du réalisme magique » précise le journaliste. Couleurs chaudes, clichés jaunis, théâtralité d’une pose ou du branchage impressionnant d’un arbre, les regardeur·ses plongent dans la subjectivité des participant·es. L’image capte l’exubérance tour à tour recueillie et festive du rite. Un trou paumé se transforme en légende, sacrée et en centre du monde, d’où la nouvelle saison jaillira. « Si tu vas au géant de Wilmington, en fait, c’est trente personnes en k-way, qui disent des trucs bizarres dans le vent ! Tout peut sembler terne. Mais il y a le mystère. À Glastonbury par exemple les mariées – morganes, morgènes en langue celtique – touchent le sol, en prennent l’énergie et la jettent vers le ciel. Tout d’un coup elles ont déchiré le rideau de cette morne soirée. Je ne m’attendais à rien, j’étais dans un champ, un terrain vague, et il y avait pourtant cette dimension de réenchantement. Il ne fallait pas l’exagérer, mais la retranscrire. Les participant·es sont très sensibles à cela, iels voient aussi le monde comme un grand jardin enchanté », constate l’auteur.

© Theo McInnes
joueurs de flûtes en habits traditionnels
© Theo McInnes

arbre devant une église
© Theo McInnes
magicien dans une rue
© Theo McInnes

Redéfinir le populaire

Les cérémonies rythment ainsi le passage de l’année et s’inspirent de rituels celtiques. Mais de cette culture, on sait en réalité peu de choses, si ce n’est qu’elle englobait, dans l’antiquité, les îles anglo-celtes et la Gaulle tout entière. Et si le mot folklore a longtemps porté un héritage négatif, car désuet, voir inauthentique, il renvoie à la racine anglaise « folk » : le peuple. Or, c’est tout un peuple, au sens large qui se retrouve ici. Certes le public est des classes moyennes anglaises, blanc en majorité. Cependant il évolue à mesure que le mouvement touche les villes. « Il y a une salle à l’est de Londres qui célèbre tous les festivals de la roue de l’année (le calendrier celtique, ndlr).  Il y a de grandes discussions sur la campagne anglaise qui serait raciste, que les gens qui ne sont pas blancs n’osent pas aller s’y balader. Or, quand le mouvement druidique arrive dans le milieu urbain, il y a davantage de non-blancs·ches qui y rentrent », explique le journaliste. Les druide·esses ont beau être parfois d’ancien·nes militaires (comme l’homme sur la couverture du livre), et se mêler aux descendant·es des hippies des années 1970 ayant fait leurs retours à la terre, iels n’en partagent pas moins les mêmes dégoûts et aspirations.

Une réaction à la modernité

« Le druidisme est une réaction à la modernité, mais au mauvais de la modernité : le capitalisme, la révolution industrielle. Iels disent qu’il faut retourner au mode ancien, au circuit court, au lien avec la terre qui a sectionné. Il s’agit aussi de revivre un peu comme dans un village (…) Ce sont des écolos », explique Thomas Andrei.  La docteure Gail Marie Bradbrook, cofondatrice du mouvement Extinction rébellion, interviewée dans l’ouvrage, se définit par exemple comme une « sorcière » ayant trouvé la voie du paganisme. « Nous allons devoir survivre à l’effondrement et nous aurons des décisions difficiles à prendre. Pour ce faire nous aurons besoin de rituels. Il est crucial que l’on s’ancre dans la terre et que l’on se prépare à résister » assène-t-elle. Ouverte à toustes, y compris aux personnes queer, évitant l’écueil de l’emphase et non sans humour, le mouvement folk n’a donc de cesse de prendre de l’ampleur, prospérant là où la société de consommation s’essouffle : « pour moi ça n’est pas un livre sur le passé, mais un livre sur le futur » conclut, prophétique, Thomas Andrei.

foule regardant les étoiles
© Theo McInnes
© Theo McInnes
À lire aussi
Les religions du futur
Les religions du futur
Dans Part of Fortune and Part of Spirit, le photographe américain Antone Dolezal s’intéresse à de curieuses croyances qui émergent à…
02 mai 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Photodoc : la photographie documentaire, un voyage de l’individuel au collectif
Photodoc : la photographie documentaire, un voyage de l’individuel au collectif
Du 12 au 14 mai, le temps d’un week-end, la Halle des Blancs Manteaux de Paris se fait hôte de la photographie documentaire française et…
11 mai 2023   •  
Écrit par Léa Boisset
« The Island » : la réponse au Brexit de Robert Darch
« The Island » : la réponse au Brexit de Robert Darch
Dans son ouvrage publié par sa maison d’édition Lido Books, le photographe britannique Robert Darch nous emporte sur une île en proie à…
01 mai 2023   •  
Écrit par Anaïs Viand

Explorez
Xiaofu Wang et le récit d'une tour, symbole d'un passé nostalgique
The Tower © Xiaofu Wang
Xiaofu Wang et le récit d’une tour, symbole d’un passé nostalgique
Arrivant à Belgrade pour rendre visite à un·e ami·e, la photographe sino-australienne Xiaofu Wang, alors étudiante à la Ostkreuzschule –...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
camerAmore : TIPA célèbre les photographes et leur outil
© Vurzie Kim
camerAmore : TIPA célèbre les photographes et leur outil
La TIPA (Technical Image Press Association), dont fait partie Fisheye, a le plaisir d’annoncer les lauréat·es de son concours de...
15 mars 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
L’exposition Nouvelles Reines face à la houle de l’extrême droite
Nouvelles Reines © Sandra Reinflet
L’exposition Nouvelles Reines face à la houle de l’extrême droite
Depuis quelques jours, l’exposition Nouvelles Reines de la photographe Sandra Reinflet, installée depuis le 19 septembre 2024 – et en...
14 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
L'IA au service de la photographie de mode : chronique d'un outil créatif
Venus in braces (牙套中的维纳斯) © Nemo Chen
L’IA au service de la photographie de mode : chronique d’un outil créatif
L’intelligence artificielle révolutionne l’industrie de la mode, et par extension nos habitudes de consommation des images. Les artistes...
14 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Xiaofu Wang et le récit d'une tour, symbole d'un passé nostalgique
The Tower © Xiaofu Wang
Xiaofu Wang et le récit d’une tour, symbole d’un passé nostalgique
Arrivant à Belgrade pour rendre visite à un·e ami·e, la photographe sino-australienne Xiaofu Wang, alors étudiante à la Ostkreuzschule –...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #498 : timides bourgeons
© Ellie Carty / Instagram
La sélection Instagram #498 : timides bourgeons
Les journées rallongent, les rayons du soleil transpercent les nuages, les feuilles renaissent sur les arbres nus, les fleurs montrent le...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
11 livres de photographie à découvrir ce printemps !
© Dorian Prost
11 livres de photographie à découvrir ce printemps !
Le printemps peut être l’occasion de se plonger dans de nouveaux univers, qu’ils soient tirés de la réalité, issus de mondes fictifs ou à...
17 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #536 : Thomas Hammoudi et Émilie Delhommais
© Thomas Hammoudi
Les coups de cœur #536 : Thomas Hammoudi et Émilie Delhommais
Thomas Hammoudi et Émilie Delhommais, nos coups de cœur de la semaine, puisent leur inspiration dans le monde extérieur. Le premier sonde...
17 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet