Grégoire Orio, celui qui sondait les profondeurs de l’image

29 juillet 2023   •  
Écrit par Milena III
Grégoire Orio, celui qui sondait les profondeurs de l’image
© Grégoire Orio, clip pour Autrenoir (Dédale, 2018)
© Grégoire Orio, captation live pour Frédéric D. Oberland (2019)
© Grégoire Orio, captation live pour Frédéric D. Oberland, 2019
© Grégoire Orio
© Grégoire Orio

Quels liens peut-on établir entre l’image et la musique ? Depuis plusieurs années, le vidéaste Grégoire Orio se concentre sur cette question à travers le clip musical, la scénographie d’artistes indépendant·es et la mise en scène de performances artistiques contemporaines. Ses créations visuelles se situent au plus près du mouvement de la vie, de sa démesure à ses échecs, et contribuent à inscrire les morceaux accompagnés dans le manifeste, politique et poétique.

« Tout mon travail consiste à tenter de mettre en lumière des connexions », déclare Grégoire Orio. Photographe et vidéaste, l’artiste de 38 ans aime les expériences collectives, qui invitent à pénétrer un territoire en tension permanente, un champ de bataille des éléments. Ce n’est pas un hasard s’il mène régulièrement des projets en collaboration avec des musicien·nes qui pratiquent des formes improvisées, proches de l’ambient et du drone, et portées par une dimension souvent écorchée, toujours lunaire et mystique. À compter parmi elleux, Frédéric D. Oberland et son groupe Oiseaux-Tempête, Paul Régimbeau – alias Mondkopf – et son groupe Foudre!, Saaad, Orbel ou même Mansfield.TYa. L’artiste est par ailleurs membre du collectif As Human Pattern aux côtés de Grégoire Couvert et du collectif La Nòvia, lieu de réflexion et d’expérimentation autour des musiques traditionnelles ou expérimentales. 

Comment l’image peut-elle venir s’ajouter à un ensemble déjà chargé en émotion et en sensations, constitué de la puissance musicale des instruments sollicités – orgue, guitares électriques saturées, violons… – et des lieux habités lors des concerts – églises… – ? « J’appréhende beaucoup l’image comme un instrument de musique à part entière, en l’employant, par exemple, pour créer des contrepoints rythmiques. Parfois elle est lisible et crée du sens par elle-même, parfois elle s’efface et vient complémenter et soutenir l’ensemble dans l’émotion, en jouant sur sa matière propre », explique-t-il. Obsédantes, les boucles musicales, sur un tempo généralement lent, sont faites des vagues qui se jettent doucement sur le rivage et habillent la plage d’une voile flottant au vent, d’une danse qui se déploie ou de la tempête qui fait rage… L’image et la musique, par ce travail, sont portées par un même but esthétique et symbolique. Pour les ramener toutes deux à leur dimension la plus primaire, il fait appel à un dispositif très simple, composé pour l’essentiel de corps et des quatre éléments.

© Grégoire Orio
© Grégoire Orio
© Grégoire Orio

© Grégoire Orio

© Grégoire Orio
© Grégoire Orio

De la projection à la captation

Ce Parisien originaire de Touraine est donc à la croisée des univers. Dans son travail de performance visuelle en temps réel – vidéo-jockey – , il intervient en résonance de la musique, avec du montage vidéo qui s’opère grâce à la méditation technologique. « Dans la salle, la forme et l’espace sont radicalement autres », affirme-t-il. C’est pour cette raison que ses projets de captations de concerts constituent des œuvres à part entière, dans lesquelles il filme l’ensemble, tant du côté de ce qui est projeté que de celui des artistes et du public. En filmant les musicien·nes à l’œuvre par le spectre de leurs gestes ou de leurs regards, et en gardant la trace d’une émotion passagère partagée par la foule, l’artiste participe à ce mouvement de connexion collectif qui s’est joué au cours de ce moment privilégié – voire de transfert énergétique, auquel notre artiste confie croire volontiers.

Parmi la matière qui compose les vidéos de Grégoire Orio, il y a bien sûr les choses qu’il a capturées – parfois avec de vieilles caméras glanées au fil du temps – , mais aussi des images de fonds d’archives photographiques, d’archives familiales, de documentaires animaliers, des objets d’études ou de recherches scientifiques qu’il détourne, faisant ainsi naître tout un ensemble de correspondances, subtiles, flagrantes ou fortuites. Accumulateur compulsif d’images, il « trouve captivant de mélanger leurs formats, pour leur esthétique propre. Elles apportent une matière grouillante et vivante, qui laisse également percevoir de nouveaux espaces, tout autant que pour venir froisser un peu les formats prédominants », décrit-t-il. Sans renier pour autant le potentiel émancipateur de l’accès aux caméras en haute définition, Grégoire Orio est de ces réalisateurices qui privilégient l’imperfection visuelle, l’alliage des formats et une approche sensible. « Je ne sais plus qui disait : “La poésie est un miracle”, mais j’ai effectivement l’impression que l’on peut la retrouver partout », déclare-t-il.

© Grégoire Orio
© Grégoire Orio
© Grégoire Orio
© Grégoire Orio
© Grégoire Orio

L’empreinte du temps

S’il puise dans la mémoire des images pour créer des performances capables d’inscrire le présent dans le marbre, Grégoire Orio aime privilégier ces lieux qui portent eux-mêmes une charge du temps – car « c’est aussi au lieu de parfois faire le pont entre le public et le groupe », affirme-t-il. Le scénographe investit ainsi l’espace, employant l’image comme une lumière, une lumière qui contient ce qui ne peut être conté, qui entrouvre les portes d’un monde situé au-delà du visible. Car qu’est-ce qui fait l’essence d’un concert, interroge l’œuvre de Grégoire Orio ? C’est d’abord un ensemble qui se construit à plusieurs, « comme un feu qui prend », formule-t-il. Auteurices d’hymnes furieux et porteurs d’espoirs, chacun·e des artistes qui se produisent au cours de ces moments sur scène partagent une sensibilité commune et un désir de rechercher une expérience collective qui puisse ramener chaque individu à son humanité profonde, à sa mortalité et à sa capacité à se souvenir.

Les corps se soulèvent, frôlent l’animalité et la folie, la transe et le sublime, la mémoire et l’inconscient collectif. Les paysages sont ceux d’une nature indomptée ou déréglée. « J’ai l’impression qu’il y a des états et des sensations qui parfois nous influencent, nous gouvernent ou nous hantent, et je tente de les évacuer ou de les retranscrire d’une manière ou d’une autre », explique-t-il. Sur ces images qui s’entrechoquent, le public projette son propre vertige intérieur, ses angoisses et ses aspirations. Tandis qu’elles défilent sous nos yeux, à la manière de la musique, elles ne nous disent rien, sauf peut-être au moins cela : les clefs de ce que nous cherchons se trouvent sans doute dans le chaos de ce que nous sommes.

© Grégoire Orio

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© Grégoire Orio, clip pour Orbel (Itzulera // Hegan, 2019)
© Grégoire Orio, clip pour Orbel (Itzulera // Hegan, 2019)
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© Grégoire Orio, captation live pour Frédéric D. Oberland (2019)
© Grégoire Orio, captation live pour Frédéric D. Oberland (2019)

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