Guerre en Ukraine : Sergey Melnitchenko témoigne

08 avril 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Guerre en Ukraine : Sergey Melnitchenko témoigne

Nous poursuivons notre engagement auprès des photographes ukrainien·ne·s en leur offrant un espace de témoignages. Après Marta Syrko, Nazar FurykTaras BychkoLada Solovyova et Oleksandr Rupeta, c’est au tour de Sergey Melnitchenko de nous livrer son récit.

« Je n’ai pas les mots pour exprimer à quel point je suis en colère. Cela fait déjà un mois que nous sommes en guerre. Des milliers de civils et de militaires sont morts, des centaines d’enfants… Et pourquoi ? Ma grand-mère a 97 ans, elle a connu la Seconde Guerre mondiale et la grande famine en Ukraine et elle est complètement perdue. Elle ne comprend pas comme un conflit peut exister entre deux pays qui se sont battus ensemble contre le fascisme. Nous sommes choqué·es, effrayé·s. Nous prions chaque jour pour les vies de nos proches.

 J’aimerais parler du jour où tout a commencé. J’étais à Kiev, le 23 février au soir, je donnais un cours dans une école de photographie. À cinq heures du matin le lendemain, j’ai reçu un appel de ma copine (nous habitons à Mykolaïv, au sud de l’Ukraine, près de la Crimée). Elle était terrifiée, et criait qu’elle avait entendu une bombe. J’ai d’abord essayé de la rassurer, de lui dire qu’il s’agissait sûrement d’une simple explosion – on nous avait prévenu·es, une semaine plus tôt, que la Russie allait attaquer, mais nous refusions d’y croire. Lorsque j’ai regardé mon téléphone, j’ai vu que tous·tes mes élèves, venu·es des quatre coins du pays, m’envoyaient des messages de panique, et mentionnaient, elles et eux aussi, des explosions. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé. Peu après, mes étudiant·s et moi sommes rentré·es à Mykolaïv – un voyage de six heures à écouter à la radio les journalistes parler des bombardements. Je ne savais pas quoi faire. On ne se prépare jamais vraiment à la guerre.

Je suis allé chercher ma mère, ma copine et mon fils et nous nous sommes déplacé·es dans un endroit plus sûr. Nous avons conduit durant 36 heures, les routes étaient complètement bouchées, des milliers de personnes quittaient leur foyer, accompagnées de leurs enfants et animaux…

Nous sommes resté·es deux semaines dans l’ouest de l’Ukraine et j’ai décidé de faire sortir ma mère et mon fils du territoire. Ma petite-amie ne voulait pas me quitter, et elle est donc restée ici, avec moi. Depuis, mon quotidien est rythmé par le travail et les dons. J’ai mis en vente mes photos en NFT, et j’ai récolté 7900 dollars que j’ai donné pour aider les militaires comme les civils. Je ne pouvais pas rester sans rien faire… J’ai ainsi réalisé que ma plus grande arme, c’était l’art. J’ai commencé à recevoir des dizaines de messages de collègues photographes, de galeristes, de collecteurs du monde entier qui me proposaient de m’aider, de donner pour l’Ukraine. J’ai reversé cet argent aux personnes en ayant besoin aussi : celles et ceux qui quittent précipitamment leur maison en laissant tout derrière eux…

J’espère que la guerre se terminera bientôt. Nous n’avons qu’une envie : retrouver nos vies d’avant, notre travail, nos voyages, nos activités, l’air frais et le ciel bleu au-dessus de nous… Et Poutine ? Je ne veux voir ce connard que dans un cercueil, exposé à Khreschatyk, la grande rue de Kiev. Mais même cela ne me rendrait pas heureux : il a tué beaucoup trop d’innocent·e·s. »

© Sergey Melnitchenko

© Sergey Melnitchenko

Explorez
À la découverte du regard enfoui de Nicole Lala
© Nicole Lala
À la découverte du regard enfoui de Nicole Lala
Restée dans l’ombre toute sa vie, Nicole Lala fut pourtant une photographe majeure du quotidien, du sensible, de l’invisible. Du 16...
30 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
PHotoESPAÑA 2025 : Après tout, que nous disent encore les images ?
© Joel Meyerowitz
PHotoESPAÑA 2025 : Après tout, que nous disent encore les images ?
Chaque été, PHotoESPAÑA transforme Madrid en capitale de la photographie. Pour sa 28e édition, le festival déploie plus d’une centaine...
28 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Mois des fiertés : l'identité queer dans l'œil des photographes de Fisheye
© Paul Mesnager
Mois des fiertés : l’identité queer dans l’œil des photographes de Fisheye
Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le...
27 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Florence et Damien Bachelot © Nicolas Despis pour Fisheye.
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Avec un cabinet de plus de 1 000 œuvres, Florence et Damien Bachelot ont constitué, depuis 2004, l’une des plus grandes collections...
26 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Two Dinners, 2024 © Nyo Jinyong Lian
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Du 7 juillet au 5 octobre 2025, la Fisheye Gallery ouvre son espace arlésien à quatre artistes émergentes : Eloïse Labarbe-Lafon, Anna...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
© Marco Dos Santos
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
Mais peut-il seulement tenir en place ? Depuis plus de vingt ans, Marco Dos Santos trace une trajectoire indocile à travers les scènes...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Pentax x Nation Photo x Fisheye : trois visions du surréalisme à Arles
© Melina Barberi
Pentax x Nation Photo x Fisheye : trois visions du surréalisme à Arles
À l’occasion des Rencontres d’Arles 2025, Fisheye Magazine, en collaboration avec Pentax et Nation Photo, a lancé un concours de...
01 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
La sélection Instagram #513 : les yeux dans les yeux
© Miriana Corabi / Instagram
La sélection Instagram #513 : les yeux dans les yeux
À travers des autoportraits, des photographies de leurs proches et d'inconnu·es, les artistes de notre sélection Instagram de la...
01 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot