Le célèbre photographe de mode est présenté en majesté au Nouveau musée national de Monaco, qui ne présente pas moins de 280 clichés réalisés par l’artiste au cours de ses deux dernières décennies passées sur la Riviera. Altesse oblige.
Si vous avez l’occasion de passer à Monaco cet été – et même jusqu’au 13 novembre –, ne manquez pas cette exposition kaléidoscopique qui vous fera découvrir les multiples facettes d’un auteur plus complexe qu’il n’y parait. C’est d’ailleurs bien le projet des commissaires d’exposition, Guillaume de Sardes et Matthias Harder, que de donner à voir les lignes de force qui sous-tendent cette œuvre qu’on croit trop vite connaitre. Né en 1920 à Berlin et nourri par l’expressionnisme et la nouvelle objectivité qui se développaient en Allemagne, Helmut Newton a aussi profondément été influencé par le mouvement surréaliste. C’est en tout cas la thèse que développe Guillaume de Sardes en relevant différents indices qui balisent l’œuvre du photographe : miroirs, mannequins et poupées, références à la mythologie, à l’érotisme et à l’univers BDSM, présence de la nuit, utilisation des gros plans et de la thématique de l’œil… C’est une vraie démonstration que tentent d’établir les commissaires qui ont découpé l’exposition en différentes sections : Piscines/Méditerranée, Ramatuelle, Festival de Cannes, Portraits, Mode & nus, Collections privées, Ballets de Monte-Carlo, et enfin Curiosa – une partie qui rassemble des images peu connues comme des paysages ou des scènes de crime…
Faire jouer les codes
Photographe de la mise en scène, Helmut Newton a toujours composé ses images avec le plus grand soin, notant quand l’idée lui venait les détails de sa future prise de vue dans un carnet. Pas de dessin pour cet homme d’images, mais des descriptions très précises des visions qui le traversent. Son univers hypersexualisé nous donne à voir le monde de la grande bourgeoisie et de l’argent qui ont toujours été les siens, de son enfance à ses dernières années. « Je suis intéressé par une société qui parait riche et dont je comprends le fonctionnement, car je ne photographie que ce que je comprends », déclare-t-il. Et dans cet univers qu’il met en scène, il fait jouer les codes, les met à distance avec ironie et humour parfois. Il développe une critique subtile dans ses travaux de commande pour l’industrie du luxe en explorant les limites et en faisant parfois grincer les dents de ses commanditaires.
Esthétique de l’artificialité
Son esthétique revendiquée de l’artificialité s’appuie sur un profond désir de voyeurisme. « De fait, pour lui, la photographie ne sert pas à authentifier le réel, mais à brouiller les valeurs du vrai et du faux, de la réalité et de l’illusion. Sa position vis-à-vis de cet univers de paillettes est d’ailleurs ambiguë, entre ironie et fascination, sans doute parce qu’il en est à la fois le témoin et un des acteurs », analyse Guillaume de Sardes. Son désir de voir et de donner à voir est nourri par une profonde culture de l’image. De la photographie bien sûr, mais aussi du cinéma ou de la peinture (référence directe à Vélasquez dans un de ses titres). Au-delà du personnage débonnaire et ironique qu’il s’amuse volontiers à jouer en public, l’artiste bâtit une œuvre plus complexe qu’il y parait.
Femmes de pouvoir
Il n’est pour s’en convaincre que de voir certaines de ses images réalisées au milieu des années 1970 où de superbes femmes matent le corps d’un mec dont le visage demeure caché. Par un renversement des codes, c’est l’homme qui est ainsi transformé en objet de désir. Des images qui s’inscrivent au rebours de l’iconographie de son époque et qui a suscité beaucoup de commentaires. À noter également la présence d’une monumentale photo de la série Big Nude – seule image de l’exposition à n’avoir pas été prise sur la Riviera. Dans cette série qui marque l’entrée d’Helmut Newton dans le monde des galeries et du marché de l’art, les femmes photographiées en contre-plongée sont magnifiées dans une esthétique proche de la statuaire. Des femmes de pouvoir, exprimant une puissance que la société peine à lui reconnaitre. Les jeux permanents avec les codes de la représentation font de Helmut Newton un subtil artificier des relations hommes-femmes.
Dans les coulisses
On pourra découvrir au fil de l’exposition une reconstitution du bureau de l’artiste grâce à l’acquisition d’une partie de son mobilier à la dispersion des ses affaires après son décès en 2004. On s’approche un peu plus de lui grâce à la projection d’un film de 53 minutes qui nous fait pénétrer dans les coulisses de certaines de ses prises de vue. Sans oublier une collection de polaroïds préparatoires de ses shootings également rassemblée ici. Enfin Guillaume de Sardes, qui a préparé cette exposition depuis longtemps et qui a « tout vu et tout lu » sur l’artiste, a demandé à plusieurs personnalités (Catherine Millet, Jean-Luc Monterosso, Alain Fleischer, Matthias Harder… ) leurs contributions afin de mettre en perspective l’œuvre complexe d’Helmut Newton. Les 280 photos de l’exposition sont intégralement reprises dans le catalogue qui devient dès lors un outil indispensable à la compréhension de cette œuvre hors du commun.
Newton, Riviera, NMNM / Gallimard / Prestel, 352 pages, 39 € (Version française ou anglaise)