Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À travers des prismes différents, des angles et des pratiques variés, toutes et tous se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. En cette fin d’année, nous nous intéressons aux diverses mobilisations et protestations qui ponctuent notre monde constamment sous tension. Au cœur des manifestations, les artistes rendent compte de citoyen·nes, démuni·es ou révolté·es, uni·es dans la protestation contre – ou pour – une idée, un projet de loi, ou un gouvernement tout entier. Lumière sur Boby, Raphael Schumacher, Émilie Désir et Thaddé Comar, qui ont, à leur manière, alimenté les archives de l’Histoire de notre société.
Parmi les sujets abordés sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve celui des manifestations. En 2023, une fois de plus, la France a été le témoin de rassemblements aussi pacifiques que tumultueux. Mobilisation contre le projet de méga-bassine à Sainte-Soline, important mouvement social contre la réforme des retraites… Le peuple n’a pas hésité à descendre dans la rue pour faire part de sa colère, de ses craintes, mais aussi de ses espoirs en un lendemain meilleur. Alors que les violences policières ne cessent de s’intensifier, et que la présence de la presse dans des contestations sociales devient parfois dangereuse, le médium s’affiche comme un outil de lutte et un moyen de documenter les conflits, instigateurs des mutations de nos sociétés.
Sous les pavés, la plage…
Rares sont les femmes photographes à parcourir les manifestations afin d’œuvrer à partager la violence qui rythme certains rassemblements. Militante de longue date, Émilie Désir ne manque pas une occasion de parcourir les foules avec son appareil argentique pour relater ce que les médias ne montrent pas. C’est d’ailleurs sous la forme de cinq fanzines publiés aux éditions Nuit Noire que la photographe a partagé ses clichés saisis durant le célèbre mouvement des Gilets jaunes, apparu en octobre 2018. « Si je décide de capturer une voiture en feu, ce n’est pas simplement pour l’esthétique. Ce n’est pas anodin qu’un individu décide d’enflammer « la rue ». C’est représentatif d’un profond malaise. Je cherche à mettre en lumière les soulèvements d’un peuple délaissé », déclarait-elle à l’époque. Bien que les manifestant·es se retrouvent magnifié·es devant l’objectif de l’artiste, ses photographies donnent à voir une brutalité significative et un ras-le-bol général saisissant.
À l’instar d’Émilie Désir qui concluait avec optimisme dans nos lignes en 2021 que « les mauvais jours finiront », Boby entretient à travers ses images capturées dans des manifestations parisiennes la notion d’espoir et de résistance. Également engagé dans les luttes sociales, le photographe couvre de nombreuses mobilisations depuis plusieurs années pour Libération. « Mon but en arrivant en manif reste de ne pas ramener les mêmes images que les 150 photographes qui sont là. Cela m’oblige à ne pas regarder dans le même sens », précisait-il dans les pages de notre numéro anniversaire cet été. Parfois tendres et d’autres fois féroces, les photographies de Boby dressent le portrait d’une France aussi éreintée qu’optimiste. En capturant tant les participant·es que les forces armées, le photographe donne à voir un large panorama de ce qu’évoque, aujourd’hui, une manifestation, dans ses moindres détails, des violences policières jusqu’à l’amour écrasant la haine.
Au-delà des frontières
Chez Fisheye, nous aimons dépasser les frontières, et se rendre compte des réalités du monde entier. En début d’année, les forces de l’ordre allemandes ont évacué la ZAD de Lützerath, un village amené à être démoli pour favoriser l’extension d’une des plus grandes mines de lignite d’Europe. Originaire d’Allemagne, Raphael Schumacher s’est rendu sur place afin de saisir, entre violence et poésie sociale, ce démantèlement. Il nous confiait : « Étrangement, je me sens toujours relativement heureux et sans stress dans ces situations exceptionnelles. […] Le droit de la presse est très bien considéré ici en Allemagne. Nous en profitons toutes et tous, c’est extrêmement important pour un certain pluralisme. » Beaucoup plus silencieuses, les images du photographe se retrouvent à la frontière du documentaire et de l’artistique. Un rendu graphique et créatif audacieux qui permet tout de même de saisir la complexité et la brutalité de cette lutte.
Dans une esthétique tout aussi novatrice, c’est à Hong Kong que Thaddé Comar a posé son œil afin d’immortaliser les manifestations prodémocratie. Loin du regard propre au photojournalisme, l’artiste français avait pour objectif d’« explorer une esthétique symbolique et intemporelle qui appréhende la réalité, à travers les échos d’une multiplicité d’images singulières ». Prenant la forme d’une fiction futuriste, How was your dream ? interroge avec créativité l’anonymat cultivé par les manifestant·es et la quête d’utopie qui les stimulent. Bien que son récit visuel diffère en de nombreux points des trois autres approches détaillées ici, Thaddé Comar voit, lui aussi, son appareil photo comme un « réel outil de luttes ».