Le passage à l’âge adulte vu par les photographes de Fisheye

24 novembre 2023   •  
Écrit par Milena Ill
Le passage à l'âge adulte vu par les photographes de Fisheye
© Charlotte Abramow
© Bérangère Fromont, extrait de I don’t want to disappear completely
© Bérangère Fromont

Enjeux sociétaux, troubles politiquescrise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur nos pages ne cessent de raconter, à travers l’image, les troubles de notre monde. À travers des prismes différents, des angles, des regards, des pratiques variées ils et elles se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Ce mois-ci, nous avons souhaité revenir sur la notion de passage à l’âge adulte, et cette période si particulière de la vie humaine qu’est l’adolescence. Une manière pour les artistes publié·es sur fisheyemagazine.fr de faire intervenir les notions de puberté, de discontinuité et de vulnérabilité. Lumière sur quatre d’entre elleux : Deanna Templeton, Charlotte Abramow, Bérangère Fromont et Barbara Marstrand.

Physique et mentale, elle affecte l’ensemble du développement humain. En France, il est important de rappeler que l’adolescence est une notion récente, et ne devient une « classe d’âge » qu’avec la démocratisation de l’école à la fin du 19e siècle. Avant cela, l’usage du terme est rare voire inexistant, preuve que la sortie de l’enfance est alors souvent plus brutale – en particulier pour les femmes, qui doivent assumer le rôle d’épouses dès la puberté – comme c’est parfois le cas encore aujourd’hui. Car enlever à quelqu’un sa propre adolescence, c’est lui refuser le temps d’effectuer une transition nécessaire, et la possibilité même d’une découverte profonde de ses envies et de ce qui fait l’individualité. Car c’est d’abord une longue quête de soi, aussi déstabilisante soit-elle, que les adolescent·es ont en partage.

Artiste américaine, Deanna Templeton relève l’audacieux pari de faire rimer la photographie avec les chansons rock et punk de son adolescence. Pour réaliser son livre What She Said, l’artiste a fait poser des adolescentes d’aujourd’hui, en les inscrivant dans le cadre des années 1980, c’est-à-dire de sa propre adolescence. Car le passage à l’âge adulte est bien cette période des premiers émois, rebels, amoureux, sexuels, voire artistiques ; mais aussi des premières interrogations et angoisses existentielles, que l’on vit le plus souvent sans recul, n’ayant pas encore développé une réelle faculté à les relativiser. 

Qui dit passage dit aussi éphéméralité, entre-deux : s’il y a bien dans le passage à l’âge adulte un point de non-retour, c’est celui du corps. Période des premières fois, l’adolescence est en particulier liée à des transformations physiques plus ou moins importantes, que l’on appelle la puberté. Pour la photographe belge Charlotte Abramow, qui en a fait l’objet d’une de ses premières séries – Métamorphosis – , il s’agit même d’une « bataille intérieure durant laquelle il faut trouver son nouveau soi et son nouveau corps, un corps transformé par la nature », nous avait-elle confié. En prenant pour modèle l’image de la plante, Charlotte fait poser Thémis, une jeune fille âgée de 11 ans, pour des mises en scène étrangement poétiques, empruntes de pudeur et de délicatesse.

Et puis l’adolescence, c’est d’abord la fin de l’enfance. Comment montrer cette fin ? Avec I don’t want to disappear completely, réalisée en Lettonie, Bérangère Fromont a relevé le défi. L’artiste y dépeint une adolescence « fantomatique », qui se fond dans la nuit, et qui constitue d’après elle « un lieu de résistance au monde adulte et au cynisme ». Pour autant, cet état ne marque pas encore totalement une sortie de la naïveté et de l’insouciance : au contraire, il y a dans la jeunesse une force et une fragilité fascinantes, lisibles dans le corps comme dans la parole. 

Et enfin, quoi de mieux pour capturer l’esprit de l’adolescence que d’en montrer les paysages ? « Les chambres des adolescent·es sont une porte d’entrée privilégiée pour comprendre leur vie quotidienne et leur façon d’être présent·es au monde », confie Barbara Mastrand à Fisheye. Dans Still Life of Teenagers, la photographe a posé son regard sur ces espaces qui gardent les traces du chaos intérieur, de la liberté insaisissable, du désir d’ailleurs, de l’importance des modèles. Refuges permettant d’apaiser le sentiment d’insécurité, la colère et l’incompréhension des adultes, c’est là plus que n’importe où d’autre que les jeunes expérimentent, et développent leur individualité.

© Deanna Templeton
© Deanna Templeton
© Charlotte Abramow
© Barbara Marstrand
© Barbara Marstrand
À lire aussi
Rock et mélodrame dans les carnets intimes des adolescentes
Rock et mélodrame dans les carnets intimes des adolescentes
Dans What She Said, la photographe américaine de 51 ans Deanna Templeton tourne son objectif vers les adolescentes rebelles de la…
23 mars 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Barbara Marstrand ouvre les portes de mondes en construction
© Barbara Marstrand
Barbara Marstrand ouvre les portes de mondes en construction
Dans Still Life of Teenagers, Barbara Marstrand dresse le portrait de l’adolescence danoise à travers les chambres qu’elle habite….
08 novembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Zooms 2017 : Votez pour Charlotte Abramow
Zooms 2017 : Votez pour Charlotte Abramow
Pour les zooms 2017, le coup de coeur Fisheye proposé par notre rédacteur en chef va à Charlotte Abramow, une jeune photographe belge…
20 septembre 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
Les fantômes de l'adolescence
Les fantômes de l’adolescence
Fisheye Magazine : Comment est née la série I don’t want to disappear completely, que tu présentes à…
16 février 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Les images de la semaine du 15.07.24 au 21.07.24 : le feu des souvenirs
© Pascal Sgro
Les images de la semaine du 15.07.24 au 21.07.24 : le feu des souvenirs
Cette semaine, les photographes de Fisheye s’intéressent aux différents aspects du feu, et ce, de manière littérale comme figurée.
21 juillet 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi
© Julian Slagman
Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi
Projet au long cours, Looking at My Brother déroule un récit intime faisant éclater la chronologie. Une lettre d’amour visuelle de Julian...
09 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Rafael Medina : corps libres et désirés 
© Rafael Medina
Rafael Medina : corps libres et désirés 
En double exposition, sous les néons des soirées underground, Rafael Medina développe un corpus d'images grisantes, inspirées par les...
27 juin 2024   •  
Écrit par Anaïs Viand
Pierre et Gilles, in-quiétude et Cyclope : dans la photothèque de Nanténé Traoré
© Nanténé Traoré, Late Night Tales, 2024 / Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?
Pierre et Gilles, in-quiétude et Cyclope : dans la photothèque de Nanténé Traoré
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
26 juin 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
© Cait Oppermann
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
Ce vendredi 26 juillet est marqué par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À cette occasion, nous vous...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
© Robin de Puy
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
L'exposition Waters & Meer - Robin de Puy revient sur deux séries de la photographe néerlandaise. Un hommage aux populations rurales...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Costanza Spina