David Lynch fait partie des cinéastes qui ont su marquer l’histoire du 7e art en y imposant leur style. Son esthétique aisément reconnaissable a inspiré un certain nombre d’artistes dont les photographes ne font pas exception. À l’occasion du Festival de Cannes, nous revenons sur l’influence qu’il continue d’exercer sur les nouvelles générations.
Il existe des artistes qui abordent leur discipline de manière tellement singulière que leur nom donne naissance à un adjectif. C’est le cas de David Lynch. Au fil de ses œuvres, le cinéaste américain a déployé une esthétique parfois difficile à décrire et pourtant reconnaissable en un instant. Les récits qu’il propose prennent place dans une atmosphère dérangeante de laquelle surgissent des éléments surréalistes. Ce regard sombre qu’il appose sur le monde n’a de cesse de nourrir les imaginaires de jeunes artistes officiant dans la création d’images. Au cours de divers entretiens que nous avons réalisés pour Fisheye, plusieurs photographes, dont Anaïs Ondet, Marie Meister, Delfina Carmona et Shaoqi Hu font partie, ont évoqué cette source d’inspiration. Infusant leurs projets de différentes manières, celle-ci se perçoit à travers des touches d’onirisme et d’étrangeté, mais également dans des nuances et des compositions inattendues.
L’absurdité d’une scène
Dans Sans Soleil, Anaïs Ondet nous plonge dans l’obscurité d’une nuit où se joue une dystopie autour de l’écoanxiété et de la peur des technologies. À l’image, des visages et des espaces naturels ou urbains, éclairés au néon, se distinguent à peine. L’ensemble crée une tension qui rappelle les œuvres de David Lynch, « une influence majeure pour cette série », et achève de nous troubler. « J’aime son esthétique abstraite véhiculant une ambiance étrange et parfois angoissante », nous a-t-elle indiqué il y a quelques années. Marie Meister partage cette inclination qu’elle matérialise toutefois à partir d’une palette plus claire où dominent les bleus froids. Là encore, le regard des sujets fixe autant le lointain que l’objectif et laisse paraître des préoccupations intimes. Des personnages étranges, empruntant volontiers les fantasmagories du cinéaste, jalonnent également ses compositions et permettent de convoquer « l’absurde, le mystique, l’étrange, le surnaturel, le souvenir, la mélancolie », énumérait-elle lors de notre rencontre.
« J’aimerais pouvoir me réincarner en David Lynch dans une autre vie », nous a assuré Delfina Carmona. Au vu de ses autoportraits et mises en scène surréalistes, cette déclaration n’a rien d’étonnant. Si la photographe argentine puise dans la banalité des jours pour concevoir ses clichés, elle se laisse tout autant porter par l’absurdité d’une séquence qu’elle entrevoit. « Ce sont de petites expériences optiques dans lesquelles, par exemple, un simple verre éclairé par les rayons du soleil peut se transformer en quelque chose de complètement différent », nous a-t-elle expliqué par le passé. Enfin, Shaoqi Hu fait appel à des silhouettes fantomatiques et des cadres sombres et flous pour instaurer une atmosphère hallucinatoire qui fait écho à celle que privilégiait l’artiste américain. « Je rêve beaucoup, certains songes sont paisibles, d’autres, terrifiants, d’autres encore insensés. J’ai besoin de donner à mes images une dimension sensuelle, surréaliste, effrayante pour parvenir à les ressentir profondément », nous confiait-elle en 2021. Quels que soient les motifs, l’esthétique lynchéenne aide finalement à dépeindre des réalités ou des fictions qui témoignent de certaines préoccupations contemporaines.