Artiste espagnole installée à Berlin, Isa Rus est récemment devenue mère. Son travail, fortement lié aux questions d’identité et d’appartenance, raconte les transformations profondes dans sa propre perception d’elle-même, tandis qu’elle s’est trouvée confrontée à des responsabilités et à un nouveau rôle à assumer.
Isa Rus est une mère fascinée par les rites de passage familiaux. Devenue photographe peu après un premier emploi de bureau, c’est au cours du confinement lié à la pandémie de Covid-19 qu’elle a véritablement commencé à expérimenter le médium. « Je suis tombée amoureuse de la capacité d’une simple photo à transmettre une infinité d’émotions et de sens », confie-t-elle. Depuis, la photographie est devenue pour elle « un exutoire thérapeutique [lui] permettant de [s’]exprimer de manière créative et d’ouvrir les portes de [s]on monde aux autres. » Avec honnêteté et sensibilité, ses clichés mettent en évidence ce pouvoir émotionnel de la narration visuelle. Sa dernière œuvre ? Birthmark, un projet en cours sur lequel Isa Rus travaille depuis trois ans. Tandis qu’elle tente de trouver un sentiment d’appartenance en tant que nouvelle mère et étrangère en Allemagne, elle explore, grâce à l’art, sa propre transition vers la maternité pendant la pandémie.
Maternité créative
En 2020, lorsque l’annonce d’un confinement s’abat sur les populations, Isa Rus vient de perdre son emploi. Par-delà ces circonstances sociales, elle attend un enfant. Relativement isolée, la jeune femme est alors confrontée à une expérience innée, avec entre ses mains très peu d’outils pour l’appréhender. De l’apparition des deux lignes sur le test de grossesse à la naissance de sa fille, elle assiste à la métamorphose radicale de son propre corps. Elle raconte l’étrangeté du voyage intérieur qu’elle traverse, en même temps que son déracinement géographique. Ayant grandi en Andalousie, elle aura dû fuir la crise économique de son pays d’origine. « En tant que migrante, je vis quotidiennement le sentiment de décalage vis-à-vis de ma culture, et dois m’adapter à de nouveaux systèmes et modes de vie », explique-t-elle. Faisant le lien entre les notions d’identité, de foyer et d’appartenance, son œuvre est devenue, selon ses mots, « un outil pour se positionner et pour définir son rôle dans le monde ».
Et si dans Birthmark, Isa Rus rappelle l’expérience surréaliste qu’a constitué pour elle la pandémie, elle raconte, également, les moments de grâce : « Alors que le monde s’arrêtait, un univers entier s’épanouissait en moi et je pouvais le vivre pleinement, sans distraction extérieure. Je suis devenue avide de cette solitude au fil du temps. Elle m’a permis de ressentir plus intensément ma grossesse. C’était comme une méditation de neuf mois », confie-t-elle.
Une vision inclusive
Isa Rus s’inscrit dans une lignée artistique qui tente d’offrir des représentations justes, honnêtes et variées. Engagée, elle entend rompre avec l’idéalisation de la maternité, qui domine dans les médias sociaux et auprès du grand public. Affirmer qu’il existe autant de manières de vivre que d’être mère. Enfin, montrer la complexité de cette expérience de vie. Donner à voir un spectre large de ce qu’implique la maternité – l’exigence de la responsabilité d’être mère, la claustrophobie parfois quotidienne, le manque de sommeil… –, voilà que ce à quoi elle s’attache, à travers Birthmark. « Je veux illustrer l’épuisement, la frustration et la vulnérabilité, ainsi que les moments de connexion, de croissance et d’amour », déclare-t-elle.
Empathie, ingénuité, authenticité : le regard que cultive la jeune photographe transparaît à travers des mises en scène sans artifice, au plus proche du réel. Nourrie par une personnalité obsessionnelle, et une nostalgie compulsive pour ce qui n’est pas encore passé, Isa Rus célèbre les peaux, les végétaux et les éléments – tous·tes sublimé·es par les mille variations de la lumière naturelle. Elle fige les moments fugaces de la vie, avec tendresse et nostalgie. Chacun·e de ces images à fleur de peau, est née d’un rapport d’émerveillement face à « l’ordinaire extraordinaire » – d’après le nom d’une précédente série –, autant que vis-à-vis de la beauté du lien, essentiel, de notre humanité avec la nature.
© Isa Rus